Les Chemins de Khatovar

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Mark Lawrence, Sœur Écarlate (VF 10/2017, VO 04/2017)

Résumé tome 1 : Sœur Écarlate
Au couvent de la Mansuétude, on forme des jeunes filles à devenir des tueuses. Dans les veines de certaines coule le sang ancien, révélant des talents presque disparus depuis que les Anciens ont accosté sur le rivage d’Abeth. Mais les maîtresses de la lame furtive ne mesurent pas ce dont elles ont hérité à l’arrivée de Nona, une enfant de huit ans qui a déjà du sang sur les mains. Ayant échappé à la potence, elle est recherchée par de puissants ennemis aux mystérieux desseins. Et au cours de son apprentissage de la voie de la lame, elle est rattrapée par les secrets d’un passé violent. Tandis qu’un soleil mourant se lève sur l’Empire, Nona devra affronter ses démons et devenir une redoutable guerrière si elle veut rester en vie…

Je vais vous vendre le truc en une seule phrase : Le Livre des Anciens est bien parti pour être la version féministe et dark fantasy de la légendaire trilogie d’Alexandre Dumas (Les Trois Mousquetaires, Vingt Ans après, et Le Vicomte de Bragelonne) ! Une pour toutes, et toutes pour une : Oh Yeah !!! Et si ne sentez pas le potentiel de supracoolitude de l’ensemble, c’est que vous êtes déjà mort à l’intérieur… Et tout commence au milieu de nulle part, où une horde sauvage veut faire la peau à Sœur Ronce… Peu contre beaucoup, une des plus vieilles et une des meilleures histoires du monde :

Pourquoi une émule de Valéria joue le rôle jadis dévolu à Conan ? Pourquoi Bêlit vient-elle à son secours (OMG je suis mort et au paradis des geeks ! ^^) ? Mais d’abord et surtout, comment on a pu en arriver là ???

J’ai eu autant de mal à croire que l’auteur du Livre des Anciens soit celui de La Reine rouge, que j’ai eu du mal à croire que l’auteur de La Reine rouge ait été celui de L’Empire brisé… Après être passé d’un cycle post-apo viriliste à un cycle science-fantasy moorcockien où les antihéros étaient les pions des réincarnations de d’Elizabeth Ière et de Margaret Thatcher, il passe ici à un cycle composé d’héroïnes, d’anti-héroïnes, de super-héroïnes et de super-vilaines toutes plus badass les unes que les autres. Et pour ne rien gâcher l’auteur veut résolument rendre hommage à celles qui ont su définitivement féminiser la SFFF : Catherine Moore, Leight Brackett, Ursula Le Guin, Anne McCaffrey, Marion Zimmer Bradley et Robin Hobb… Je ne n’avais pas vue une telle féminisation du genre depuis Claymore le manga Dark Fantasy de Norihiro Yagi ! Encore une fois, Oh Yeah !!! *

Il abandonne la narration à la 1ère personne pour revenir à ce bon vieux narrateur omniscient, et ce qu’on perd en originalité on le gagne en qualité (la traductrice Claire Kreutzberger qui travaille sur l’auteur depuis son premier livre doit se régaler). Il recourt donc à un style classique mais soigné, sans délaisser sa bonne vieille gatling à punchlines, avec un pure tome d’introduction et d’exposition. Mais tout est parfaitement maîtrisé car il sait où il va contrairement à tous ces satanés auteurs jardiniers, et la différence est d’autant plus flagrante qu’il emprunte ici à Patrick Rothfuss qui lui d’errements en errements ne sait plus à quel saint se vouer le principe de la narration à rebours où on ne sait plus trop si on est dans un flashback ou un flashforward (dans les deux cas, l’auteur tease à mort ! ^^)

Le worldbuiding :
Achtung Spoilers Alors oui l’auteur utilise tous les trucs et astuces de la Dark Fantasy, mais il sème beaucoup de petit cailloux blancs pour nous amener vers le Planet Opera post-apo. J’ai même pensé pas mal de temps qu’il avait osé réalisé une suite au [b]Cycle de Skaith[/b] de [b]Leigh Brackett [/b](Nona résurgente d’Eric John Stark ? ^^), car avec ces histoires de glaciations et de migrations c’est carrément ça… Oui mais non, il part sur quelque chose d’autre avec quatre tribus venus des étoiles : les Gerants, géants, forts et endurants, les Hunskas, rapides, agiles et vifs comme l’éclair, les psioniques Marjals qui peuvent manipuler les esprits, les psioniques Quantals qui peuvent manipuler la matière (du moins c’est que j’ai cru comprendre, parce que l’auteur m’a perdu en route avec les différents types de « magies » marjales et quantales). L’idée c’est qu’aucune des quatre tribus n’était adaptée à la vie sur l’Abeth et qu’elles ont mélangé leurs sangs pour créer l’humanité. Sinon on parle aussi de miroir orbital, de centre de commande à distance, et des réacteurs énergétiques des vaisseaux des étoiles ^^ Fin Spoilers

Comme Anthony Ryan dans Bloodsong nous suivons les états d’âmes au jour le jour d’un adolescent en période d’apprentissage, dans un mélange entre l’humanisme épique de David Gemmell et le romantisme intimiste de Robin Hobb avec des emprunts au Monastère Kaï et à l’Institut pour surdoués de Charles Xavier… Donc tôt ou tard on retrouve les ado mutants qui veulent changer le monde, les chevaliers jedis et le Côté Obscur de la Force mais avec des nonnes badass venues de tous les horizons et de toutes les classes sociales et bien souvent en colère contre la terre entière !

Nona a perdu son père qui a disparu sur ou sous la banquise (au vu du worldbuilding la différence est de taille, donc j’espère que l’auteur y reviendra), et elle est en froid avec sa mère qui n’intervient pas quand son village la vend au croquemitaine, tout le monde étant trop heureux de se débarrasser d’une gamine autour de laquelle gravite bon nombre d’étranges phénomènes et d’horribles événements quand elle se met colère (ce qui arrive ma fois assez fréquemment).
Dans le cage de Giljohn il y a une petite phase Sans famille, et Nona se lie d’amitié avec Saïda qui veut mettre ses dons au service de la guérison et non de la destruction, Markus qui parle aux animaux, ou la boiteuse Hessa soupçonnée d’être capable de pratiquer la magie… Même si on revient dessus par la suite, la phase reste courte et les compagnons d’infortune sont séparés car Nona et Saïda sont vendu à un ludus et le drame survient assez rapidement : Raymel Tacsis le gladiateur aristocrate s’en prend à Saïda, et personne ne sait comment la petite Nona est parvenu à le terrasser… Les deux adolescentes sont condamnées à la potence et si Mère Vitrage arrive à temps pour sauver Nona, elle arrive trop tard pour sauver Saïda : l’enfant ne parviendra jamais vraiment à lui pardonner de ne n’avoir pas su en sauver deux pour le prix d’une, pire d’avoir sans doute miser sur la mauvaise jument car Nona est persuadée d’être possédée par le Malin…
Au Couvent de la Mansuétude il y a une longue phase La Petite Princesse, et Nona fait de nouvelles connaissances parmi les détournements des personnages de Frances H. Burnett (ainsi tout aurait pu opposer la prolétaire miséreuse aux cheveux bruns cheveux bruns et l’aristocrate porphyrogénètes aux cheveux blonds : oui mais non, tout va les rassembler pour faire d’elles le duo d’héroïnes badass peut-être le plus cool de tous les temps !), sauf que le couvent est également un détournement de Poudlard (mentions spéciales à Sœur Pomme qui empoisonne systématiquement ses élèves, et à Malkin le chat de Mère Vitrage qui compisse méticuleusement les affaires des mauvaises langues ^^), et qu’au fur et à mesure du développement des talents de ses pensionnaires il se mue en Salle des Dangers (remember X-Men !). Toutefois nous sommes dans un univers grimdark, donc impossible de ne pas penser également à ce fabuleux manga qu’est Le Couvent des damnées

Par sa narration à rebours et ses fausses pistes (qui parfois ressemble à des digression ou du tirage à la ligne méfiez-vous bien hein), l’auteur parvient à rompre la monotonie leçons / entraînements / scènes de camaraderie… Car oui les Tacsis n’ont pas renoncé à leur vengeance sur Nona, et l’Empereur Crucical et sa sœur Sherzal semblent avoir des plans discordants concernant le Couvent de la Mansuétude et ses pensionnaires. Car oui la scène du procès inquisitorial tout droit tiré des univers de David Gemmell amène une prophétie, avec une élue qui possédera les pouvoirs des quatre tribus pour changer le monde, ou plutôt avec une éternelle championne et son éternelle compagnonne… Mais attention une élue peut en cacher une autre (ou plusieurs mêmes ^^), A moins que toutes les prophéties ne soient que des fables conçues par les hommes et les femmes, et que chacun n’y voit que ce qu’il veut y voir… blink
J’ai été pris au piège du faux rythme dans la 2e partie du récit, car l’auteur a monstrueusement teasé avec ses flashforwards qui annoncent des twists de oufs et qu’on veut savoir le fin mot de l’affaire avant la fin du tome qui se rapproche dangereusement… J’ai longtemps pesté contre tous ces trucs qui bouffaient inutilement des pages : les remarques de untelle sur la situation de sa famille, toutes ces histoires de couteaux qui apparaissent et qui disparaissent, les mystères récurrents sur les combats où le sang qui coule à flot alors que les armes sont restées au fourreau, ou le récit dans le récit de l’enfance de Nona qui change plusieurs fois de versions parce qu’elle a peur que ses camarades la prenne pour un monstre… Et arrivé à la fin, qu’est-ce que j’en ai pensé ? « Putain, mais qu’est-ce que je suis con : tout était là sous mes yeux depuis le début et je n’ai rien vu !!! » Je ne dis rien de plus et je vous laisse le plaisir de la découverte ^^

A la fin du tome l’épreuve initiatique tourne au survival quand les crevards avancent leurs pions sur deux fronts, et pour ne pas être annihilé il faut s’unir ou périr, et maîtriser les pouvoirs de la porte (le corps) et de la clé (l’esprit) pour franchir la barrière de la matière… Le grand final est absolument génial, mais si l’auteur a posé beaucoup de questions, il n’en répond qu’à une seule car Nona devient ce qu’on a fait d’elle, mais finalement ce qu’elle a toujours souhaité être : une solution et non un problème… Une super-héroïne naît sous nos yeux, et en s’enfonçant dans les ténèbres elle flamboie de mille feux ! Un personnage psychopathe dévoré par la haine et la colère, mais encore suffisamment empathique et socialisé pour être hanté par le regard des autres et par son propre regard, et qui dans ce qui lui reste de lucidité cherche un exutoire à tous ses côtés noirs pour rester humain malgré tout : on avait plus vu ça depuis… le Chevalier Noir de Gotham City ? ^^
Dans la série Le Couvent des Damnées Ella Kollwitz entourée d’ennemies s’étaient entièrement consacrée à la survie et à la vengeance, alors qu’ici Nona Grisaille entourée d’amies a le temps de trouver un sens à son existence : défendre la justice, incarner la Colère des Dieux sur Terre, devenir le croquemitaine qui crevards qui se croient au-dessus des lois humaines et divines… Tremblez politiciens carriéristes, tremblez aristocrates sociopathes, tremblez prêtres corrompus, tremblez bankster sans âmes, tremblez magos psychos, car Sœur Cage est née pour vous botter les fesses et désormais rien ni personne ne peut la détourner de sa mission sacrée ! Crossover avec les personnages de Larry Correia et on fait la Révolution mondiale, crossover avec les personnages de David Gemmell et de Michael Moorcock et on fait la Révolution multiverselle !!!

Un trilogie bien construite apporte des réponses à chaque épisode, et chaque épisode a son importance et apporte sa pierre à l’édifice. Donc avec un tel tome 1 il y a moult pistes prometteuses à attendre du tome 2 !
Achtung Spoiler Quelles sont les ambitions de Shella Yammal pour ses protégées, jusqu’où va aller la vendetta des Tacsis, en quoi consiste le game of throne joué par Crucical et Sherzal, quelles rivalités opposent l’Empire à ses voisins, pour qui roulent les tribus du frimas, qui va mettre la main sur le contrôle de la lune artificielle qui permet de contrôler le climat sur l’Abeth, qui va mettre la main sur les réacteurs des vaisseaux des étoiles à la puissance capable de déformer la réalité, et quid de cette histoire de prophétie qui peut relever autant de l’info que de l’intox ? Fin Spoiler

– Où est Lano Tacsis ?
– Tu les connais, les Tacsis. Ils n’aiment rien tant que laisser leurs sous-fifres attendrir la chair et, si nécessaire, ils arrivent ensuite achever la besogne.
– C’est bien vrai.
– Il est là-bas avec ses soldats et huit assassins d’élite. Ceux qui l’ont formé.
– Mon pouvoir n’est pas tari.
– Tu te crois capable de me tuer sans faire appel à la Force ?
– Je pense que je n’aurai pas besoin de te tuer. M’est avis que tu vas te battre à mes côtés.
(Je vous l’avais dit : « Une pour toutes, et toutes pour une ! »)

* Dans l’affreux monde du marketing anglo-saxon, la tendance est au communautarisme de la production culturelle : les spin doctors qui prennent leurs cas personnels pour une généralité universelle sont persuadés que dans un récit on ne peut s’identifier qu’à un membre de sa propre communauté… Perso je suis au contraire persuadé que quand un personnage est profondément humain n’importe qui peut s’identifier à lui qu’il soit homme ou femme, noir ou blanc, chrétien ou musulman !

Alfaric

Note : 8,5/10

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