Les Chemins de Khatovar

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Warbreaker / Brandon Sanderson

Titre original : Warbreaker, 2009
Orbit, 560 pages

Après la grande déception que fut pour moi L’Alliage de Justice, c’est assez réticent que je me suis lancé dans ce Warbreaker. J’ai mis du temps à me prendre au jeu, mais ce simili-remake de L’Empire Ultime était un page-turner agréable.
Le burb de Michael Moorcock est à double tranchant, car il peut être interprété comme un compliment ou comme une pique. L’épée noire buveuse d’âme ? Un immanquable et gigantesque clin d’œil à Stormbringer. On aurait pu approfondir cet élément pour aller vers le jdr culte Bloodlust. Oui mais non.

Le prologue est très ambivalent : à un sosie de Kelsier plongé dans une ambiance éminemment Sword et Sorcery, on accole des explications rôlistiques issus d’un quelconque D&D dignes d’un mauvais Feist.
1) l’ambiance Sword & Sorcery on ne retrouve quasiment plus par la suite
2) l’intriguant donc intéressant personnage de Vasher on le reverra très peu
3) les balourdises rôlistiques, elles par contre vont réapparaître de manière épisodique mais lourdingue
Cela manque de naturel, c’est répétitif et on construit des chapitres ou des pans entiers de l’intrigue là-dessus… Et en plus toute l’économie des Souffles avec ses dons, ses contre-dons et l’exploitation des masses défavorisées au profit d’une minorité ultrafavorisée est entièrement pompée sur les dédiés de David Farland (normal Brandon Sanderson a travaillé pour lui comme assistant de cours d’écriture).

Un univers coloré avec ses pluies et maladies tropicales (distrentie = dysenterie, tramaria = malaria), une jungle omniprésente et d’immenses chants de fleurs, d’épices ou de plantes tinctoriales, une hiérarchie sophistiquée de multiples castes sacerdotales au service d’un dieu vivant censément tout-puissant… On pouvait facilement imaginer une transposition high fantasy des civilisations mésoaméricaines ! Oui mais non car cet univers se résume à une ville et cette ville se résume à un palais. On retombe trop facilement dans le huis-clos courtisan (voire dans le soap nobiliaire). Fin du rêve.
A à la noirceur et aux brumes de Luthadel succèdent la lumière et les couleurs de T’Telir. On retrouve une théocratie bureaucratique et une ploutocratie marchande. On retrouve des masses honteusement exploitées au profit d’une minorité. Le Roi-Dieu remplace le Seigneur Maître et Vasher pourrait remplacer Kelsier. On suit sur 550 pages les aventures des princesses rebelles pucelles Siri et Vivenna, et les sarcasmes du Divin Rappelé Chanteflamme le Hardi (personnage très sympa au destin plutôt assez gemmellien) : on nous laisse dans le schwartz concernant les éléments importants de l’intrigue (qui veut la guerre et pourquoi veut-on la guerre ?) pendant la majeure partie du roman tout en nous teasant avec mini complots, mini révoltes, mini investigations qui permettent de faire oublier qu’on flirte dangereusement avec la frontière du tirage à la ligne. On distille au compte-goutte actions et révélations qui font avancer l’intrigue avant le final, et dès que cela ronronne un peu trop on place 1 rebondissement, 1 twist ou 1 révélation, pour aller de l’avant. Si vous adhérez à l’histoire contée par Brandon Sanderson, ce n’est pas trop perceptible. Dans le cas contraire cela peut devenir assez rébarbatif, car on peut en raconter 2 fois plus en 2 fois moins. Et à ce petit jeu-là, cela peut vite tomber carrément à plat : attention aux vrais faux rebondissements moisis.

Mais tout ceci reste très plaisant car il s’agit d’un gros revival David Eddings ! C’était déjà perceptible dans la relation Elend / Tindwyl qui ressemblait fortement à la relation Garion / Polgara. Une théocratie tropicale à la tête d’un empire méridional qui vit du commerce des marchandises exotiques, un nid de prêtres comploteurs et d’esclaves complices ou rebelles au service de fausses divinités ne se rendant pas compte qu’ils sont les dupes aisément remplaçables d’un système qui marche très bien sans eux… Warbreaker se distingue de L’Empire Ultime en piochant allègrement dans La Reine des sortilèges.
On ne peut pas passer à côté de la parenté : on retrouve le ton, l’humour et les dialogues à la Eddings, ses intrigues, ses personnages, ses thématiques… Tous les amateurs de l’auteur devraient bien se régaler, mais son style très plaisant avait ses limites : en appuyant sur l’humour et le 2e degré, impossible de développer à fond la tension et le suspens du 1er degré.
Toutefois c’est truffé de trucs horripilants pour un lecteur exigent : l’auteur n’est pas dupe car il qualifie ses propres personnages de pudibonds, de naïfs, de crétins/crétines. Difficile de ne pas être d’accord avec lui ! C’est presque comme s’il excusait de l’inclusion d’éléments BCF.
Entre les romances d’une pudibonderie mormone et les réflexion morales d’une incroyable naïveté, on se croirait dans de la fantasy romantique Young Adult. Ajoutons aussi des répétitions malvenues dans le vocabulaire, dans les expressions et dans les explications qui peuvent se montrer aussi horripilantes que des coquilles, des fautes de français ou des fautes de traduction. On ne peut pas accuser le travail de Mélanie Fazi auquel le succès de l’auteur en France doit beaucoup.
Et on n’échappe pas à certains stéréotypes : les noms de lieux avec apostrophes / tréma / accents circonflexes et des termes techniques grandiloquents que ne servent à rien… Et l’épilogue frôle le FDG car il en propose plus que toutes les pages que précède (c’est pour obliger les lecteurs à acheter l’hypothétique suite).

Un roman très plaisant de Fantasy néoclassique qui donnera satisfaction à un large public car il a été conçu pour atteindre cet objectif. De là à le qualifier de nec plus ultra, cela sera sans moi car on est en-dessous de Fils-des-Brumes qui avait bien plus de qualités et bien moins de défauts… De plus, les lacunes récurrentes montrent qu’on n’évolue pas :
– On aurait pu avoir de la fantasy militaire basé sur la multiplication des frankenstein…
– On aurait pu avoir des conflits géopolitiques autour des ressources tropicales…
– On aurait pu creuser la quête d’identité de ces divinités amnésiques…
– On aurait pu creuser l’exploitation des masses laborieuses…
Oui mais non : n’en demandons pas trop à un auteur qui fait preuve d’une grand originalité en recyclant Eddings, Farland et Moorcock sans jamais les citer, tout en développant le même schéma narratif pour la 7e fois : distiller un faux-rythme durant des centaines de pages avant d’assommer ses lecteurs sous une avalanche de twists / whodunits / révélations dans les 75 dernières pages.

Note : 7,5/10

Albéric

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