Les Chemins de Khatovar

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Le Maître des ombres / Roger Zelazny

Titre original : Jack of Shadows, 1971
Folio SF, 240 pages

Un Zelazny pour moi très décevant, non parce que trop court, mais parce que carrément le cul entre deux chaises. Dans la 1ère partie nous suivons la quête de vengeance de Jack, un Arsène Lupin qui va se muer en Edmond Dantès. On apprend très (trop) rapidement son amour pour la belle Evène, sa rivalité avec le Seigneur des Chauve-Souris et le complot pour se débarrasser de lui. Arrêté et exécuté, nous suivons sa résurrection puis sa traversée de la fosse aux immondices de Glyve lors de chapitres crépusculaires et fangeux qui lorgnent sur les classiques de la littérature gothique. On retrouve là tout le talent de l’auteur.

De plus un univers très intéressant est esquissé avec une opposition entre une face éclairée régie par la science, peuplée par les Diurnes mortels, et une face obscure régie par la magie, peuplée par les Nocturnes quasi immortels. Les souverains de ses derniers sont les Seigneurs de l’Ombre qui disposent d’immenses pouvoirs au sein de leur domaine, et parmi eux Jack est l’électron libre car c’est le seul dont le pouvoir n’est pas lié à un lieu géographique. L’auteur ne fait rien pour rendre sympathique sa création : Jack est un kleptomane égocentrique atteint du syndrome de Münchhausen et comme Jack croit à ses propres mensonges, peut-on croire au récit qu’il nous raconte ?

Passé son évasion de son Château d’If, on bascule dans le conte philosophique avant de tomber finalement dans le drame eschatologique. Dans la 2e partie on progresse par ellipses au pas de course pour arriver là où l’auteur veut nous emmener à savoir montrer que Jack est un nouvel avatar du trickster, cette figure quasi universelle de celui qui amène le chaos nécessaire au changement. Il est ainsi à ranger aux côté d’Anazi, Coyote, Loki et Prométhée (après tout, le récit débute par le vol d’une flamme qui tourne mal). Rien n’est laissé au hasard : les discussions sur la perception du réel et sur la dualité de l’être font la part belle aux allégories platoniciennes. Mais l’auteur abandonne le récit et ses personnages pour développer des allégories psychanalytiques, et à force de bazarder ce qu’il avait mis en place dans sa première partie, le récit part à vau-l’eau et on finit par se désintéresser des dialogues de Jack avec l’âme de Jack, ou des conversations cryptiques avec Etoile du Matin ou Rosalie… Car sa recherche de pouvoir est expédiée en quelques pages, sa vengeance en quelques phrases, sa conquête de la face obscure en quelques mots (donc gare aux WTF !).

Jonathan Lombre, universitaire expert en ethnologie et en sociologie des Nocturnes… aussitôt amené, aussitôt évacué. Borshin l’homoncule : WTF ou allégorie des pulsions de mort propre à chaque individu ? Evène suivie par son fantôme en pleur, Rosalie prise dans un paradoxe temporel… L’arrêt du Traité, le voyage au centre de la Terre, la volonté de changer (ou détruire ?) le monde… rien n’est clair et l’auteur n’a aucune intention de l’être : il réduit au silence le seul personnage du roman qui en avait les clés ! Ayant réalisé tous ses rêves et assouvis tous ses désirs, Jack est toujours insatisfait… Mike Moorcock était quand même plus subtil dans les métaphores dans son Chaland d’or.

L’agent du changement de ce monde figé est donc est le maître des ombres, ombres qui dans les mythologies anciennes était les anges gardiens bons aux mauvais des âmes de chacun. Jack fusionne avec son âme et le monde scientifique fusionne avec le monde magique. Fin (ouverte et ambiguë si vous ne la jugez pas bancale voire fumeuse).

Bref une œuvre assez expérimentale que je déconseillerais aux easy readers : ce n’est vraiment pas une bonne porte d’entrée pour les univers de Roger Zelazny. Sans doute à réserver aux inconditionnels de l’auteur et aux curieux.

Note : 5,5/10

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