Concernant Waylander III :
Après un
WI qui mélangeait western et péplum et un
WII très héroïc-fantasy, DG nous offre un
WIII très high fantasy.
Et au-delà de très importants progrès dans le style, on ne peut pas le résumer à « c’est Waylander contre les démons ».
L’Homme à l’Arbalète va devoir sortir de sa retraite pour affronter les sbires de l’empire sorcier de Kuan-Hador, qui maîtrisent les secrets des arts sombres et des failles entres les dimensions : bref on est proche des univers moorcockiens.
Derrière une junte magiocratique qui considère les sphères du multivers comme autant de mondes à conquérir au nom de la paix et la civilisation, on pourrait déceler une critique en bonnes et dues formes de la colonisation.
Comme souvent avec DG on peut diviser le livre en 3 parties :
La 1ère partie est une présentation des personnages à travers les yeux de la jeune paysanne Leeva Tatiana
La 2ème partie est une montée en puissance : les 1ères escarmouches ont lieu et Kysumu et Yu Yu Liang débutent leur quête
La 3ème partie est double : Waylander doit sauver ses amis d’abord, tuer le roi-sorcier ensuite
Au-delà de la figure de Waylander qui poursuit sa quête de rédemption, c’est aussi une guerre des mondes avec d’un côté Emsharas le Dieu-Démon bienveillant, une évadée tourmentée qui lutte pour conserver son humanité et les riaj-nors, et de l’autre Anharat, le Dieu Démon malveillant, un mago psycho qui se délecte de son inhumanité et les kriaz-nors.
C’est presque une opposition entre une rébellion et un empire totalitaire : l’affrontement à distance entre Ustarte et Deresh Karany est plus ambitieux que ce qu’on peut lire dans les autres Drenaï, et c’est avec regret qu’on imagine le véritable cycle que cela aurait pou être car là on peut avoir l’impression d’enchaîner les 3 Jon Shannow en 1 seul roman.
De plus l’ensemble est bien rythmé grâce à des scènes horrifiques bien pensées et bien fichues même si on sent des héritages moorcookiens (les hommes-bêtes, les géants du froids) ou barkeriens (les pactes faustiens, la magie de la chaire).
Et l’histoire principale s’enrichit de nombreuses histoires secondaires amenées par d’excellents flashbacks :
- la rébellion d’Ustarte, qui pourrait tout droit sortir du Cycle d’Hawkmoon
- la quête de pouvoir d’Aric, où se retrouve la dualité ambition/corruption de Renégats
- la quête de foi de Chardyn, sans doute plus proche de Jon Shannow que de Dardalion
- Qin Chong qui se paye le luxe de citer en bonnes et dues le Juan Sanchez Villa-Lobos Ramirez d’Highlander 2
- l’histoire de Lalitia, voleuse et courtisant qui aimerait devenir un strong independant woman
- l’histoire de Niallad, le prince héritier idéaliste qui voudrait vaincre ses peurs et ses phobies
- l’opposition entre le modeste et spartiate Kysumu et le vantard et paillard Yu Yu Liang
- l’opposition entre Kriaz-nors et Riaj-nors, 2 faces d’une même pièce : les 1ers ont choisi la servitude, les 2èmes la liberté
- et que dire de ces Guerriers d’Argile qui ont accepté de tout perdre pour tout perdre à nouveau.
…
C’est dingue la densité du roman !!!
Merci à la traductrice
Claire Jouanneau qui a réussi à rendre le tout fluide, dynamique et crédible.
Le nombre d’évènements, de personnages, de thématiques est incroyable pour un petit roman
J’ai lu des machinlogies dodues qui offraient bien moins de contenu que ce one-shot.
Faisant le lien entre la plupart des éléments du roman, le personnage du loachai est profondément ambivalent :
une figure faustienne certes qui corrompt les hommes en comblant leurs plus noirs désirs au prix de ce qu’ils ont de plus cher, et un exécuteur des basses-œuvres d’un mago-psycho qui a largement franchi les frontière de l’humanité pour assouvir ses bas instincts, mais pour éviter les bains de sang il privilégie la diplomatie à la guerre, la persuasion à la violence, et il multiplie les diversions pour éviter de côtoyer les diverses perversions de son patron (et à ce jeu il finit par remporter des petites victoires), en ne cessant retrouver refuge dans ses souvenirs d’enfance remplis de voiliers…
Et c’est quand il retrouve enfin sa liberté qui les justices humaine et divine le rattrapent.
On pense à Morton dans Il était une fois dans l’Ouest, exécuteur des basses œuvres d’une compagnie corrompue qui caresse jusqu’au bout le rêve de revoir la mer une dernière fois avant de mourir.
En transposant les codes du western spaghetti à la fantasy, DG prouve qu’il y a mieux à faire que de singer Tolkien.
(j’encourage les fans de Gemmell à (re)lire les œuvres du colosse britanniques en écoutant du
Ennio Morricone)
Passons aux choses qui font un peu tiquer quand même :
On se disperse un peu, les fils directeurs ne sont pas toujours très explicites, beaucoup d’éléments ne sont pas suffisamment développés et tout s’emballe dans les 100 dernières pages avec un dénouement un peu précipité.
- DG s’essaye au whodunit avec l’ispssimus et son loachai, mais on se retrouve avec quelques incohérences
- on sent bien l’envie de distiller une noirceur désespérée à la Moorcock, mais le sort de Norda fait carrément WTF !
- l’affrontement final est prévisible, mais il est plus spectaculaire que celui du tome 2 qui lui était presque torché
- encore une fois le personnage de Waylander est lui-même moins intéressant que d’autres (on peut s’interroger sur la manière avec laquelle il défend ardemment la vie tout en donnant la mort avec une facilité et une efficacité surhumaine)
- certains pourront aussi éventuellement ergoter sur les redondances de style et de trame de Gemmell m ais cela reste très agréable à lire et toujours plein d'action et de rebondissement qui font la nique au récurrent tirage à la ligne !
Et que dire de l’épilogue ? Gemmell a taillé dans vif en bouclant la boucle avec une implacable logique
Après avoir obtenu le pardon, Waylander trouve enfin la seule chose que ni richesse ni pouvoir ne pouvait lui offrir.
L’ultime fin constitue ainsi quasiment la préquelle du tome 1 :
l’Homme à l’Arbalète de Gemmell semble vraiment être une version alternative de l’Homme à l’Harmonica de Leone.
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http://www.youtube.com/watch?v=TYbllUDYIDo[/video]
Enfin, mais j’aurais du commencer par là, mine de rien le roman donne sacrément matière à réflexion :
« sans compassion, pas de civilisation », « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », la fin justifie-t-elle les moyens, doit-on priver de liberté des ennemis de la liberté ?, « les miroirs de la mortalité » , « être parfaitement immortel c’est être définitivement blasé », les ambitions qui éloignent des vrais bonheur de la vie, l’orgueil qui déshumanise, la cupidité présentée comme un forme de vampirisme, ou plus simplement l’addiction provoquée par les jeux d’argent (cf. l’histoire d’Aric) … le tout souvent amené par des réminiscences proustiennes du plus bel effet.
Bref des thèmes pour la plupart humanistes donc d’une brûlante actualité dans un monde d’argent de compétitivité.