Bubba oh Tep ne vous a pas convaincu???
Passons donc aux choses sérieuses :

attention : grrrrand classique :
STALKER d'Andrei Tarkovski 1979
Magnifique - évidence : Tarkovski transcende le visuel et ses acteurs sont époustouflants
ouf que j'ai lu le livre avant ! je ne jurerai pas que je n'aurais pioncé ferme, autrement Rolling Eyes
Sinon, rien à voir avec ma lecture du roman -
Tout est "métaphysique" dans le film - pas le moindre artéfact ou la moindre allusion à une antenne d' ET ou de fourmi -
Tarkovski reprend la fin pour en faire le but des expéditions dans la zone -
il exacerbe la quête "spirituelle" en ôtant toute dimension SF
Pour moi, ce n'est pas un film SF du tout -
Je me suis demandé comment les Strougatski ont pris ça :
avec courtoisie, humilité et rès intelligemment
(voir l'article de libé ci- dessous (copié-collé obligé, car le lien est mort )
Sinon, les premiers plans sépias de la chambre du Stalker m'ont irrésistiblement fait penser à ceux de "la ligne générale" d'Eisenstein
- dont l'autre titre est "l'ancien et le nouveau" - et forcément, j'y vois une bonne dose "d'anticommunisme primaire" -
Marfa -> Stalker ! on est revenu au point de départ - la servitude, la misère et le pourrissement
-seule, la zone est liberté et vérité même - surtout par ses rêves et mirages ( ils passent leur temps à y pioncer plutôt inconfortable)
c'est pourquoi elle est interdite, la zone
Cela restera un film marquant pour moi - exceptionnel par le résultat :
à partir de la lecture d'une oeuvre, ce qu'en fait un cinéaste de génie, avec une interprétation diamétralement opposée à ma propre lecture- chapeau!
Boris Strougatski raconte la genèse du mythe
Par FRÉDÉRIQUE ROUSSEL
Arkadi et Boris Strougatski Stalker Traduit du russe par Svetlana Delmotte. Edition définitive établie par Viktoriya Lajoye. Denoël «Lunes d’encre», 222 pp., 22 €. L'Ile habitée Traduit du russe par Jacqueline Lahana. Même éditeur, 432 pp., 24 €.
C’est en 1972 que les inséparables frères Arkadi et Boris Strougatski publient Stalker, pique-nique au bord du chemin. En 1979, Andreï Tarkovski l’adapte librement à l’écran. La Zone est cette étendue figée, lugubre et mortelle qui attire les Stalkers comme des chercheurs d’or. Dans ces années-là et jusqu’à la Glasnot, les Strougatski ne trouvent plus d’éditeurs et sont contraints de publier sous le manteau. Si Arkadi, son frère aîné avec qui il a écrit la plupart de ses textes, est mort en 1991, Boris vit toujours à Saint-Pétersbourg. Célèbre dans son pays, il anime depuis des années un séminaire annuel de formation des écrivains de science-fiction, il est membre du jury de plusieurs prix littéraires et suit de près les parutions en imaginaire. Interview avec l’auteur du roman culte.
D’où est née l’idée de Stalker et de la Zone, à la fois dangereuse et attirante ?
L’histoire est née d’un rien, d’une observation tout à fait aléatoire. En nous promenant dans un bois, nous sommes tombés sur une clairière régulièrement souillée par les amateurs de pique-nique en forêt : papiers gras froissés, bouteilles vides, une chaussure oubliée sous un buisson, quelqu’un avait jeté les piles de sa lampe de poche, les boîtes de conserve traînaient dans les restes d’un feu de camp et il restait une flaque d’huile là où une personne avait vidangé son moteur. Et l’un d’entre nous s’est demandé : «Comment les petits êtres qui peuplent ce bois - les oiseaux, les scarabées, les fourmis, un renard apeuré mais curieux - ont-ils pu interpréter cette dévastation ?» Le sujet s’est instantanément imposé. Le soir même, nous avions inventé la Visite, la Zone, les chasseurs de miracles au sein de cette Zone (qu’à l’époque nous appelions «trappeurs»). Le récit, je m’en souviens, a été facile à écrire, sans blocage.
Pourquoi Tarkovski a-t-il choisi de l’adapter ?
Je ne sais pas. A mon avis, il était plus préoccupé par l’image de la Zone, qui est d’ailleurs la seule chose qui soit restée dans le film. Il était très difficile de travailler avec lui, mais c’était diablement amusant. Nous avions décidé dès le début que le destin nous avait conduits à travailler avec un génie et que nous devions nous plier à tous ses caprices, sauf s’ils entraient en contradiction avec notre vision du monde. Le plus dur a été de le convaincre que la fiction n’avait pas à être «fabuleuse», qu’il fallait dépeindre le monde de façon aussi réaliste que possible, et que le fantastique devait se cacher quelque part à la limite de la perception, à la périphérie du sujet : le bois, l’herbe, la station électrique abandonnée. Tout est absolument ordinaire, mais on peut ressentir sur sa peau la sensation froide du miracle qui peut surgir au-delà du tournant… Bien sûr, Tarkovski savait tout cela autant que nous, mais il préférait un «imaginaire franc», de vraies terreurs ou des périodes de temps figé. Peut-être avait-il aussi d’autres raisons essentielles. Il était réalisateur : il pensait non par mots, comme nous, mais à l’aide d’images sonores, qu’on ne peut décrire par aucun mot. Nous lui avons écrit huit scénarios différents, mais il restait insatisfait. Il avait déjà tourné le film lorsque - heureusement ? - la pellicule fut abîmée lors du développement, et il prit la décision de tout refaire. Et en premier lieu, il nous a demandé de modifier l’image du Stalker. Il ne souhaitait plus avoir à faire à ce demi-bandit, ce vagabond féroce de la Zone. Il voulait quelque chose d’autre. «Et quoi donc, sapristi ?- Je ne sais pas, bon sang ! Mais tout autre.» Alors, avec Arkadi, nous avons, de désespoir, inventé le stalker-fanatique, le stalker-innocent, le stalker-sacré. Il s’est trouvé que c’était cela qu’il voulait ! Quand vous travaillez auprès d’un génie, vous devenez un peu génial.
Comment jugez-vous cette adaptation ?
Arkadi, je me souviens, le considérait comme un «film du XXIe siècle». Je suis plus réservé, mais suis sûr d’une chose : c’est un film merveilleux.
Stalker et l’Ile habitée parlent-ils encore aujourd’hui ?
Ils ont été liés à une certaine réalité, et ils le sont toujours, dans la mesure où cette réalité n’a pas changé. Ou du moins, lentement. Et Maxime Kamerer [le personnage principal de l’Ile habitée, ndlr] lutte maintenant contre le totalitarisme de la même manière que dans les années 70. Et les Stalkers modernes sont encore impuissants à comprendre ce qu’est le bonheur et comment, et par quelle magie, le procurer à ce monde où le bien se fait sur la base du mal («parce qu’il n’y a plus rien d’autre pour le faire») (1).
Pourquoi avez-vous décidé d’écrire de la science-fiction ?
Pour une raison très simple : nous aimions beaucoup lire de l’imaginaire. Mais il s’en publiait tristement peu au milieu des années 50. Sans compter que la moitié des auteurs travaillaient alors dans un genre encouragé, celui de l’«imaginaire à court terme» (dans lequel les vrais héros sont des inventions technologiques de demain : le tracteur automatique ou les chaussures inusables). Mais nous savions comment, dans les faits, on pouvait écrire de l’imaginaire ! Nous connaissions Alexeï Tolstoï, Alexandre Beliaev, H. G. Wells, Jules Verne et nous voulions écrire ainsi. Il nous semblait que nous pourrions y arriver, non pas pour être publiés, mais pour lire plus tard notre petit chef-d’œuvre à des amis, aussi fans du fantastique que nous-mêmes. Nous avons essayé. Et nous avons réussi.
Comment vous répartissiez-vous la tâche avec votre frère ?
Nous écrivions toujours à deux. En général, c’était Arkadi qui s’installait à la machine, et moi je déambulais dans la pièce ou je restais allongé sur le divan d’à côté. L’un d’entre nous proposait une phrase, l’autre y réfléchissait, proposait une autre rédaction. S’ensuivait une discussion, parfois courte, parfois d’une demi-heure. Finalement, la phrase «s’arrangeait» et était couchée sur le papier. L’un de nous proposait la phrase suivante, etc. C’est ainsi que phrase après phrase, paragraphe après paragraphe, page après page, le texte prenait forme. Nous créions ce texte à deux, à parts égales, c’était la fusion de deux représentations. Ça n’était pas un sandwich ni une pâte feuilletée, mais bien un alliage.
Séparer ce qui est d’Arkadi et ce qui est de moi est impossible. Bien sûr, lorsqu’il était question de seppuku, de samouraïs et d’autres choses japonaises, on devine que la primauté dans la discussion revenait à Arkadi, en tant que japonisant. Ou bien lorsqu’il s’agissait d’armes, de casernes, de l’armée en général, c’était encore Arkadi, qui fut officier de carrière. Par contre, lorsqu’il était question de planètes, d’étoiles, de galaxies, de cosmologie, c’était mon tour, en raison de mon diplôme en astronomie stellaire. Les mathématiques, la cybernétique, les ordinateurs étaient aussi de mon domaine. Et aussi la poésie japonaise, dont j’étais, à la différence d’Arkadi, un grand amateur et connaisseur. Par contre, les domaines de la physique et de la technique étaient de nouveau du ressort d’Arkadi, qui avait là, sans doute, la priorité du fait qu’il s’intéressait depuis son plus jeune âge à la physique nucléaire et avait lu à ce sujet une bibliothèque entière d’ouvrages de vulgarisation… Voilà. Maintenant, essayez de résoudre le problème de la répartition des tâches…
La littérature doit-elle prendre position ?
Ça dépend. Si nous parlons de devoir, tout écrivain qui se respecte doit tout abord «brûler par la Parole les cœurs des humains» (2). Ce faisant, peut-on ne pas «prendre position» ? Peut-être. Il faut prendre position concernant sa conception de monde. Mais cela n’est pas la même chose qu’une position politique. A l’époque soviétique, on nous persuadait que rien ni personne n’existait hors de la politique, que l’apolitisme, en effet, est aussi une politique, qu’il était impossible de se tirer de l’autodétermination politique («Si tu n’es pas avec nous, tu es contre nous»).
A mon avis, toutes ces formules idéologiques magiques n’avaient qu’un seul sens pratique : séparer le bon grain de l’ivraie - ceux qui ont accepté «la communion du Buffle» (3) de ceux qui ne l’ont pas acceptée et donc se sont automatiquement transformés en objet à surveiller, et en cas de nécessité, en objet de répression. Dans un socium du type démocratique, la question de l’appartenance politique ne se pose pas. Elle n’a simplement aucune raison d’être.
Traduit du russe par Viktoriya et Patrice Lajoye
(1) Citation extraite des Fous du roi de Robert Penn Warren, déjà utilisée dans Stalker.
(2) Pouchkine, le Prophète (note des traducteurs).
(3) Allusion au roman de Heinrich Böll les Deux Sacrements (ndt).
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