tam-tam a écrit :
Un super cycle de fantasy!
Beaucoup d'action, de l'humour et par dessus tout des personnages très réussits. Et beaucoup moins manichéen qu'il n'y paraît au début.
Logen neuf doigts dit le "sanguinaire": un guerrier barbare qui tombe parfois dans des crises de folies meutrières pendant lesquelles il ne distingue plus ses amis de ses ennemis.
Ferro Malkis: une batarde humaine/démon, qui afin d'assouvir une vengeance, s'est promis d'exterminer jusqu'au dernier des ghurkiens...et comme il y en a des millions...
Bayaz le premier des mages: Complétement déconnecté des préoccupations humaines, n'hésite pas à raser toute une ville pour parvenir à ses fins.
Et enfin Sand dan Glotka: Inquisiteur ayant une pierre à la place du coeur. Ne s'émeut ni des souffrances ni du desespoir qu'il cause à autrui.
Ca c'est pour le camp des gentils, je vous laisse imaginer la tête des méchants
Avec du recul, c'est peut-être ce que j'ai lu de plus proche du
Trône de Fer malgré un humour corrosif et une bonne dose d'esprit subversif :
- les combats dans le Nord ne sont pas si éloignés de ceux d'au-delà du Mur
- le Gurkhul entre civilisation et barbarie m'ont rappelé les pays outremers
- le Vieil Empire en ruines n'est pas très éloigné des Conflans, Trident, Harrenhal & cie
- les intrigues d'Adua n'ont rien à envier à celle de Port-Réal
etc
Le 1er tome avait été une agréable découverte de l'auteur, de son style et de ses créations avec son Cercle du Monde, qui rappelle aux vicissitudes de notre réalité bien à nous, et à ses personnages hauts en couleur emmenés par un Inquisiteur Glotka spécialiste en cynisme et en sarcasme.
Le 2ème avait été une confirmation : j'accroche très bien à la démarche de l'auteur :
- Bayaz, Logen, Ferro et Jezal partent pour la traditionnelle quête au bout de monde
- West rejoint les « Expandables » du Nord dans leur guerre contre Bethod
- Glotkta seul contre tous est envoyé défendre Dagoska contre ses bons vieux amis du Gurkhul.
Et dans les 3 cas cela part en cacahuètes grave !
- Il n'y a rien du tout au bout de la Quête !
- La campagne du Nord part en vrille, et West aggravent lourdement les choses.
- Glotka se barre avant l'assaut final en laissant les bons se sacrifier pour rien et en laissant les méchants continuer leur business.
Le 3ème n'a pas déçu mes espérances : du sang et des larmes en 2 parties bien remplies.
On retrouve toutes les qualités des 2 tomes précédents, toutefois la partie action m'a semblé plus ou moins perfectible même avec l’intervention des Cent Verbes, cela déchire grave sa race.
Et au bout de 2000 pages impossible de savoir si j'ai lu un cycle de fantasy épique ou un cycle qui se moquait de la fantasy épique !
Comme le dit le 4ème de couverture, Joe Abercrombie mélange intimement et habillement héroïsme et humour noir et réussit là ou Richard Morgan peine à réellement convaincre avec
Terre de Héros et où Sam Sykes a lamentablement échoué avec
la Porte des Eons.
Après s'être attaché aux personnages durant autant de pages, comme Renifleur le lecteur a bien du mal a faire la différence entre les bons et les méchants (s'il y existe encore une différence entre les 2...) :
- Logen, le barbare philosophe perdu quelque part entre Conan et Kull
est un schizophrène meurtrier qui a autant de sang sur les mains que son vieil ami/ennemi Bethod et après tout ce qu'il a vécu et subi il revient à la case départ c.a.d au 1er chapitre du 1er tome !
- Ferro Maljin, l'esclave rebelle
On nous montre le lent processus qui lui fait redécouvrir et récupérer une part d'humanité... et elle devient une demi-déesse avide de vengeance qui repart arpenter les terres du Gurkhul : là aussi retour à la case départ !
- Jézal dan Luthar, l'officier dandy
s'est révélé avoir été prisonnier des évènements voulus et mis en place par Bayaz de longue date, et malgré sa bonne volonté et ses bonnes idées devient sans aucun espoir d'échappatoire une énième marionnette du pouvoir !
Le relation Jézal / Bayaz est un copié-collé amoral de la relation Arthur / Merlin car ici point d’héroïsme d'un côté et de paternalisme d'un autre côté : tout est mensonges, manipulations et intérêts bassement calculés.
- le tourmenté colonel West
qui a gravit au mérite toute la hiérarchie militaire et a sauvé par 2 fois l'Union est une énième victime collatérale des machinations de Bayaz
- l'Insigne Lecteur Sult
qui passe pour le méchant de service au sein du Conseil Restreint, est peut-être celui qui était le plus proche de la vérité : s'il avait collaboré avec le Juge Suprême Marovia ou lieu de constamment lui chercher des noises, il serait sans doute parvenu à libérer l'Union de son plus grand tyran.
- le cynique et sarcastique Inquisiteur Glotka
malgré tous ses petits moments de réflexions humanistes, a-t-il acté qu'il est définitivement devenu un sociopathe sadique ?
Quand il épouse Ardee est-ce pour se venger de Collem ? Pour le punir d'avoir survécu à la guerre où son humanité fut perdue ?
Quand il assume la paternité de son enfant à naître est-ce pour humilier Jézal ? Pour le punir d'être celui qu'il avait été ?
Et quel malin plaisir il prend à torturer psychologiquement et physiquement ses anciens partenaires !
Pour lui aussi retour à la case départ sauf que son ancien patron joue le rôle de la victime, et que l'ancienne victime joue le rôle de l'assistant tourmenteur...
et j'ai gardé le meilleur pour la fin !
- Bayaz le jovial magicien sauveur du monde libre ?
se révèle être un redoutable Machiavel pour qui la fin justifie tous les moyens.
Tous les complots, intrigues, machinations mises au jour par Glotka ne sont que la partie émergée de l’iceberg des plans à l'intérieur des plans d'un Bayaz qui manipule tout et tout le monde pour obtenir des armes à utiliser dans son affrontement séculaire contre le Prophète Khalul.
Bayaz le gentil Premier des Mages ?
Le meurtre de Juvens, la mort de Toloméï, la chute du Créateur...
Bayaz a tellement menti et brouillé les cartes qu'on en sait plus qui croire !
Bayaz le défenseur des libertés ?
Il s'avère contrôler étroitement le monde libre d'une main de fer sans l'ombre du plus petit scrupule à l'aide de la force la plus puissante qui soit : le pognon !!!
Bayaz le dernier rempart des forces Bien ?
Entre ceux qu'ils l'abandonnent et ceux qu'il a abandonnés, il compte ses alliés sur les doigts d'une main, alors que Khalul le méchant théocrate qui dirige l'Axe du Mal ne semblent absolument pas manquer d'exécutants intiment persuadés de la justice de leur cause...
De la même manière, on nous répète sans arrêt qu'il ne faut surtout pas enfreindre la 1ère et la 2ème loi, or Bayaz n'hésite pas à enfreindre la 1ère et son apprenti n'hésite pas à enfreindre la 2ème pour parvenir à leurs fins.
En somme le conflit Bayaz / Khalul rappelle le conflit Vorlons / Ombres de Babylon V : derrière les belles justifications et les beaux discours, ils sont aussi pourris et bouffis d'orgueil l'un que l'autre et les peuples font les frais de la leur guerre éternelle dont nul ne connaît les origines nébuleuses.
Bref comme les personnages, le lecteur s'est bien fait balader par l'auteur !
J'ai presque l'impression que le message de Joe Abercrombie est que plus les choses changent et plus elles restent les mêmes...
… en critiquant une certaine vision du monde qu'on nous vante ou qu'on nous masque
- les puissants collaborent ou combattent entre eux en fonction de leurs préjugés ou de leurs intérêts, et les faibles servent de pions ou de chair à canon (soit vous obéissez, soit vous êtes écrasés)
- dans une Union qui rappelle sans doute plus les Etats-Unis d’Amérique que le Commonwealth britannique, les véritables dirigeants sont à moitié mégalomanes, foncièrement ploutocrates (« hors de questions de taxer ou réguler la finance » sic), fondamentalement ultralibéraux (« le libre échange mène à la liberté et au progrès pour tous » sic... même si des pans entiers de la société crèvent de faim ou de peur), et ouvertement méprisant envers les petites gens (« les petits se contentent de petites satisfactions : l'important c'est de leur faire croire qu'on s'occupe d'eux » sic)
- les personnages qui s'en sortent correctement sont finalement ceux qui du début à la fin ont collaboré avec le système et ses représentants hypocrites, incapables ou les 2 à la fois, et qui n'ont pas arrêté de déclarer que le monde, la société et la vie sont injustes et qu'il faut faire avec (des genres de Forrest Gump décalés en quelques sortes)...
Dans tous les cas Joe Abercrombie appartient à cette nouvelle vague de la fantasy que j'ai hâte de le relire à nouveau !
PS :
J'ai souvent dénigré Pygmalion, mais là à part la traduction des titres qui s'assied sur les jeux de mots de l'auteur, c'est vraiment du bon boulot y compris et surtout au niveau du prix !