Résumé :
2116. Voici l'histoire d'Erémos le « génète », agent clandestin de la puissante compagnie HONYC, en mission sur une planète bagne pour y percer le secret du voyage interstellaire, jalousement gardé par les Tritons extraterrestres.
Javier Negrete avait commencé sa brillante carrière multi-genre par la SF.
Ici c’est à la fois un bon roman de SF et un bon thriller sinon un bon roman d’espionnage, mais pas que.
C’est avec plaisir que nous suivons les investigations de cet androïde espion qui suit les traces de 007.
Le facteur temps est très bien géré : une fois le roman démarré, on ne s’ennuie jamais !
Notre génète n’a que 10 jours pour infiltrer ce monde carcéral, en comprendre le fonctionnement, identifier les joueurs de cette vaste partie de poker menteur, retrouver le vaisseau triton et en percer les secrets.
C’est d’autant plus agréable que cela s’inspire du cahier des charges des films d’espionnages grands publics : scènes de drague avec les James Bond Girls, les parties de roulette et de baccarat, les infiltrations, les poursuites, les gunfights, les close combats, les confrontations avec des méchants aussi classieux qu’arrogants.
Mais avec notre héros féru de culture antique qui se la joue modeste et plusieurs scènes qui prennent à contrepied les classiques du genre, difficile de savoir si on lorgne sur le Sean Connery de la grande époque ou son antithèse… (car après tout ce n’est pas le héros qui commande un dry martini, mais sa Némésis !)
De gauche à droite : Erèmenos, Uranie, Le Turc
L’auteur nous présente une Terre (rétro)cyberpunk qui a essaimé dans la galaxie, sous l’étroit contrôle des Tritons, peuple aquatique seul maître des voyages supraluminiques tout droit sorti de la saga culte Dune.
Le Gouvernement des Nations Unies a le plus grand mal à gérer les ambitions et les rivalités des mégacorpos
Tous ceux qui posent problème sont envoyés sur le monde carcéral de Rhadamante, peuplé à 75% de prisonniers politiques (aka tous les contestataires du système en place) et 25% de droits communs (nouvelles élites de cette société livrée à elle-même)
Toute la toponymie se calque sur la géographie des enfers gréco-romains, ce qui nous amène à une mise en abîme intéressante car on peine à différencier cette société calquée sur les bagnes Australiens des XVIIIe et XIXe siècles de notre société moderne.
Et si le véritable enfer, c’était le monde sans morale et sans éthique qu’on a laissé nos élites construire ?
Le roman présente une dimension psychologique et philosophique agréable, loin des pensums qu’on nous inflige parfois car notre androïde rêve de Furies électriques et commence à douter malgré ses améliorations cérébrales et ses inhibiteurs de sentiments.
Trois personnages féminins bien campés catalysent sa crise existentielle : Clara, la douce institutrice spécialistes en langues anciennes, Uranie, la strong independant woman hédoniste, Amara l’impitoyable machine à tuer.
Derrière les masques on reconnaît les Érinyes : Tisiphone, Mégère et Alecto qui vont précipiter les événements.
Au final, le dénouement peut s’avérer un chouia décevant par rapport à ce qui a précédé.
Mais comme dans les tragédies antiques, le héros ne pouvait échapper à son funeste destin.
On sent tout de suite que l’auteur maîtrise aussi bien les lettres classiques que les disciplines scientifiques.
On se régale avec un auteur très cultivé qui partage sa culture sans prendre les lecteurs de haut :
c’est avec plaisir qu’au détour de tel ou tel passage on retrouve Homère (Ulysse et Nausicaa), Thucydide (controverse des Méliens), Aristophane (la société Lysistrata), Fermat (le génial mathématicien français misanthrope), Lovecraft (les Chiens de Tindalos), Edgar Rice Burroughs (la cité d’Opar), Arthur C. Clarke (les trois lois)…
Quelques bémols cependant :
- le personnage principal est plutôt froid et cérébral, d’où les nombreux passages réflexifs (solution A) ou B) ?)
- le personnage de Miralles, mi-Tyrésias mi-Cassandre, est amené de manière forcée et frôle souvent le WTF !
- c’est le 1er roman de l’auteur : tout ce qu’il a écrit ensuite présente plus de rythme, de souffle, bref de vista
Pour un peu on pourrait se retrouver quelque part entre Dan Simmons et un Richard Morgan débarrassé de ses gimmicks (ultraviolence, drogue, sexe et rock’n’roll à tous les étages) : l’intrigue gagne sans doute nettement en fluidité et en limpidité par rapport aux deux auteurs cités.
Finalement un premier roman très bien écrit, très bien rempli et ma fois déjà bien abouti.
Un beau livre qui signe le début d’une grande carrière pour l’écrivain espagnol multigenre !
Et sans doute un bouquin qui pourrait plaire à tam-tam (et à Toon !)