Sacrements / Clive Barker

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Albéric
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Sacrements / Clive Barker

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Résumé :
Will Rabjohns est un photographe de renom, à la spécialité particulière : il capture les derniers instants d’animaux dont l’espèce est en voie de disparition, immortalisant ainsi l’implacable avancée de la civilisation humaine sur une nature sauvage, cruelle et désespérée.
Ce métier n’est pas sans risque : brutalement attaqué par une ourse polaire, il tombe dans un profond coma. Une expérience qui le replonge dans d’inquiétants souvenirs d’enfance…
À son réveil, Will Rabjohns sait que sa vie ne sera plus la même, tandis qu’il se met en quête de son identité et d’une terrible vérité, dans un périple où l’horreur pure côtoie le merveilleux.

Poète de la noirceur, Clive Barker est souvent qualifié d'Edgar Allan Poe contemporain... Il l'est sans doute davantage que son émule Stephen King, mais Clive Barker est avant tout Clive Barker, à savoir un Anglais de Liverpool d'ascendance irlandaise par son père et italienne par sa mère à la fois romancier, dramaturge, peintre et cinéaste spécialisé dans le fantastique horrifique mais pas que (domaine dans lequel il fait référence au vu de sa grande influence sur ses contemporains)…
J'aime beaucoup l'auteur et son imagination passionnée, mais malgré d’indéniables qualités je n'ai pas accroché à ce Sacrements paru en 1996 : trop de symboles existentialistes, trop d'allégories métaphysiques... Entre passé et présent on suit les tranches de vie de Will Rabjohns à Burnt Yarley en Angleterre, à San Francisco aux États-Unis et à Balthazar et Winnipeg au Canada. Enfant mal aimé et délaissé, immigré en quête d’identité, roi de la nuit de Castro Street, artiste underground mésestimé puis photographe animalier mondialement reconnu et/ou critiqué... J’ai senti l’œuvre très personnel dans les douloureux rapports père/fils, les liaisons houleuses entre créateurs et créations/créatures, les quêtes d’identité (ici forcément sexuelle) : passé un cap, on pourrait se demander à quel point on flirte avec l'autofiction, car l'auteur connu pour être un membre éminent de la communauté LGBT livre un portrait sans concession de la communauté gay à l’époque où elle est passée sans transition des bacchanales des années 1970 à l'hécatombe des années 1980 (le virus du SIDA surnommé le cancer gay a commis des ravages incommensurables : remember la sorcière Margaret Thatcher qui voulait les enfermer dans des camps de concentrations pour préserver l'hygiène de la population).
Ce côté tranche de vie n'était pas du tout désagréable, mais il a fallu que j'arrive à la dernière partie du livre pour qu'enfin les choses se décante et que je comprenne enfin de ce qu'on racontait, car finalement tout ce concentre dans la ligne droite finale prenant la forme d'un road movie britannique qui va mener les personnages des collines du Yorkshire à une île perdu des Hébrides vers un dénouement embrumé qui apporte plus de questions que de réponses... En route vers la partie SPOILERS... !


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L'idée principale est que le personnage principale a une vision incomplète, nihiliste et pervertie du monde car il a été touché dans sa jeunesse par des êtres ayant une vision incomplète, nihiliste et pervertie du monde : le couple formé par Jacob Steep et Rosa McGee, deux sociopathes blasés qui trompent leur immortalité proclamée dans la réalisation de leurs fantasmes thanato-érotiques (un peu comme les Cénobites d’Hellraiser)... Rosa et Jacob magnifiques comme des anges et tentateurs comme des démons incarnent eux-mêmes les notions d'Eros et Thanatos puisque Rosa est fasciné par la vie, surtout quand elle est artificielle, et que Jacob est fasciné par la mort, surtout quand elle est naturelle... Les deux vagabonds, vraisemblablement allégories de l'humanité dans son double aspect mâle et femelle, baisent et tuent au gré de leurs envies du moment depuis des années et des années en se posant des questions existentielles : qui sont-ils ? d'où viennent-ils ? où vont-ils ? Qu'y a-t-il pour eux après la mort quand cette dernière surviendra ? Et tandis que Rosa qui est femme cherche les réponses dans la création, Jacob cherche des réponses dans la destruction car il ambitionne de détruite le monde morceau par morceau, espèce par espèce, peuple par peuple, en manipulant des militaires cinglés, des ploutocrates sans cœur et des technocrates sans âme... Il ambitionne de faire finalement face à son créateur quand il aura tout détruit, et en attendant ce jour c'est entre génocides et écocides qu'il rédige sur ses carnets le récit de ses actes meurtriers...
On nous explique que Will est connecté à Jacob parce qu'il a hérité d'un don de médium par sa mère, et franchement c'est complètement capillotracté, et nous on explique que les homosexuels rejetés par leurs familles et ayant renoncé à la procréation sont des êtres sans cesse obligés de se réinventer eux-mêmes comme ces immortels nés adultes sans aucune connaissance de leurs origines, et ce n'est pas forcément beaucoup plus convaincant... Toujours est-il que Will se reconnecte à Jacob durant son long coma consécutif à sa rencontre avec une ourse polaire mal léchée (un peu à la manière de John Cusack dans le film Dans la peau de John Malkovich ^^), et que Jacob prend la décision de le tuer parce WTF... En effet Jacob a peur de quelque chose mais on ne saura jamais ce qu'est ce quelque chose, Jacob associe Will à cette menace pour on ne sait trop quelle raison, et toujours pour on ne sait trop quelle raison décide sur un coup de tête de s'en débarrasser alors qu'il a eu des années et des années pour le faire (en sachant qu'il sait que Will a peut être les cartes en main pour obtenir les réponses à toutes ses questions). Toujours est-il que c'est prétexte à visions et transes chamaniques qui nous gratifient d'une scène d'orgie gay complètement gratuite et moult scènes de dialogues entre Will et l'Esprit-Renard qui est en lui (qui joue autant le rôle de surmoi freudien que de Saint-Esprit chrétien ^^), avec des passages à la fois oniriques et solipsistes où passé, présent et futur se mélangent allègrement (je ne cache pas que c'est aussi WTF que les moments les plus délirants des œuvres de Lewis Caroll ^^). Mais c'est grâce à ses visions et ses transes que Will découvre que Jacob et Rosa sont liés à Thomas Simeon et Gerard Rukenau, un artiste maudit et un mystique chrétien du XVIIIe siècle qui ont mal fini après avoir réalisé conjointement la mystérieuse Domus Mundi...

On aurait pu avoir un récit à la Stephen King avec des adultes confrontés à la menace qu'ils avaient déjà rencontrée enfants : oui mais non... On aurait pu avoir un Frankenstein moderne avec les créatures à la recherche de leurs créateurs : oui mais non... On aurait pu avoir un lien entre le fils d'un docteur en philosophie mésestimé et le fils d'un bâtisseur de cathédrales ignoré : oui mais non...

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Que sont les nilotiques ? Mystère, mais je penche pour une allégorie des démons ayant bâti le Temple de Salomon...
Pourquoi Rukenau a-t-il transformé le Nilotique asexué en créatures mâle et femelle ? Mystère, mais je penche pour une allégorie zarbie du mythe platonicien des âmes divisées constamment en quête de leurs moitiés...
Pourquoi Rukenau a-t-il désacralisé la Maison du Monde qu'il a eu tellement de mal à réaliser ? Pourquoi a-t-il obtenu l'immortalité avant d'en devenir le prisonnier ? Et qui sont les âmes en peine qui hantent ce qu’il reste de la Domus Mundi ? Mystère, mais je penche pour une nouvelle couche de métaphysique avec des allégories du Paradis, de l'Enfer, du Purgatoire, d'une figure luciférienne en guerre contre Dieu et d'une Trinité Impie...
Pourquoi avoir fait de Jacob un infanticide multirécidiviste ? Mystère, mais je penche pour une allégorie de l'humanité qui détruit son avenir et/ou les homosexuels qui renoncent à la procréation... mais Jacob a peut-être décidé de commencer son programme d’extinction par sa propre progéniture, ou plus simplement on est dans le grimdark totalement gratuit qui de nos jours a remplacé l'horreur totalement gratuite...

Malgré tout le talent et toute la bonne volonté de l'auteur, je ne suis pas loin de penser que le syndrome de l'auteur jardinier a encore frappé ! (Surtout qu’au début du livre on nous explique que Guthrie le misanthrope du cercle polaire que rencontre Will a lui aussi été touché par le étranges Jacob et Rosa, et que ce fait n'est plus du tout mentionné par la suite...)

Le message est qu'on doit faire face aux héritages de son enfance, qu’ils soient bons ou mauvais, pour s’accepter et trouver sa place dans cette grande famille qu’est l’humanité... Mais c’est dommage qu’on soit avec un puzzle à reconstituer en dépit de pièces manquantes, ou selon les propres mots de l’auteur avec des poupées russes de tailles identiques à emboîter les unes dans les autres dans un espace non euclidien… Cela semble très clair pour Clive Barker, mais cela l’est beaucoup moins pour nombre de ses lecteurs ^^
Cela aurait pu être une excellente nouvelle et une bonne novella, mais on se retrouve avec un gros pavé qui se perd peu ou prou en symboles freudiens et en références implicites ou explicites à Hegel, Kierkegaard, Hume, Wittgenstein, Heidegger, Kant, mais aussi Chauncer, Nietzsche, Tolstoï, Sartre... Sur le plan littéraire Clive Barker n'a pas forcément grand chose à envier aux Grands Noms, si ce n'est la notoriété car il est grandement sous-estimé, mais pour le lecteur appartenant au commun des mortels le résultat peut s'avérer assez nébuleux... Mais Clive Barker reste Clive Barker, et on retrouve toujours son beau style, brutal et cru par moments, fait de mots simples et de phrases simples formant un tout joliment harmonieux qu’ici on le doit aussi au traducteur Jean Pêcheux !
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tam-tam
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Re: Sacrements / Clive Barker

Message non lu par tam-tam »

J'ai un petit faible pour cet auteur. Galilée me tends ses petites pages depuis l'OP Brag et celui ci devrait y passer aussi.
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Albéric
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Re: Sacrements / Clive Barker

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tam-tam a écrit :J'ai un petit faible pour cet auteur. Galilée me tends ses petites pages depuis l'OP Brag et celui ci devrait y passer aussi.
Everville ressort en grand format chez Bragelonne à la fin du mois...
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