[Cycle] Renégat / Miles Cameron

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Albéric
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[Cycle] Renégat / Miles Cameron

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Résumé du tome 1 : Le Chevalier Rouge :
Pour diriger une bande de mercenaires sans foi ni loi, mieux vaut réunir les atouts de la naissance, d’une adresse certaine à l’épée et d’une chance diabolique.
Le Chevalier rouge a les trois, la jeunesse en plus, et il sait déjà en tirer profit.
De retour en Alba après une campagne militaire lointaine, ses mercenaires sont recrutés pour défendre un couvent fortifié ayant fait l’objet de raids sanguinaires.
Mais comme le Chevalier et ses hommes vont le découvrir sans tarder, ce contrat implique des pièges insoupçonnés, les entraînant de batailles en traquenards à l’orée d’une véritable guerre... dans laquelle le Chevalier lui-même a bien plus à perdre que prévu. Car celui qui envoie les créatures du Monde Sauvage décimer les humains pourrait bien connaître son secret le plus sombre...

Dommage que la traduction VF nous prive d’une des plus importantes clés de lecture du roman.
En VF le cycle est nommé Renégat, en VO il est nommé The Traitor Son. Ce dernier est un clin d’œil au plus célèbre traître de l’imaginaire collectif : Mordred, le fils illégitime du roi Arthur !
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Car l’auteur détourne les mythes arthuriens pour nourrir sa propre saga :
- Arthur devient le Roi d’Alba (jamais nommé en 825 pages, parce que le lien est plus qu’évident pour les Anglo-saxons)
- l’antipathique Mordred, celui par qui le malheur arrive, devient le sympathique Gabriel, un jeune homme qui refuse le rôle d’Antéchrist écrit pour lui par sa mère qui n’est que haine et venin pour tout le genre humain
- Guenièvre devient Desiderata, une sublissime pimbêche narcissique courageuse et volontaire
- Merlin devient Harmodius di Silva, un mage arrogant dévoré par la curiosité scientifique
- Lancelot devient Jean De Vrilly, un chevalier ambitieux et fanatique (on me souffle dans l’oreille qu’il est inspiré de Jean de Grailly, un chevalier gascon présenté comme un parangon de chevalerie durant la Guerre de Cent Ans)
- Gauvain devient Gawin Murien, un chevalier poissard et geignard


Quelque part, l'auteur a tout compris : il nous offre un univers médiéval-fantastique vraiment médiéval et vraiment fantastique ! Finis les goulbi goulba de batailles et d’intrigues ayant pour cadre des Moyen-Âge de carnaval ou de carton pâte, car ici on revient à l’authentique et à l’essentiel : la civilisation des oratores (ceux qui prient), des bellatores (ceux qui combattent), et des laboratores (ceux qui travaillent).
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- niveau oratores, on pioche dans le christianisme avec moult références latines. On oppose de manière manichéenne, au sens premier du terme, chrétiens serviteurs de Dieu qui puisent dans la puissance du Soleil et païens serviteurs de Satan qui puisent eux dans la puissance de la Terre, et Saint George, Saint Thomas, Saint Christophe et toute la compagnie sont régulièrement mis à contribution !
- niveau bellatores, on pioche dans la féodalité pour nous montrer une compagnie militaire où travaille ensemble chevaliers, hommes d’armes, écuyers, valets et archers. Pour tout le reste, on respecte à la lettre les relations suzerain / vassal, les relations entre paysans et seigneurs protecteurs, les règles de l’adoubement…
- niveau laboratores, on dépeint par petites touches les nombreux métiers qui gravitent autour des châteaux et des monastères : paysans, couturières, lavandières, forgerons, charrons...
On sent bien que l’auteur canadien maîtrise son sujet et porte un regard bienveillant sur cette période, en nous faisant partager ses deux passions lors de nombreux passages riches et bien détaillés : l'artisanat médiéval et l'escrime médiévale.
Après s’il nous immerge joliment dans ses scènes de bataille nombreuses et variées, force est de constater qu’il n’est pas toujours facile d’avoir une vue d’ensemble sur les événements... Qui empruntent peu ou prou à la fameuse bataille de Rorke's Drift ou une centaine de britanniques tinrent en respect plusieurs milliers de Zoulous. Voilà qui vient fortement remettre en cause les critiques de ceux qui ont ragé contre l’invraisemblance des scènes de baston et qui explique mine de rien pas mal de trucs (un lieu religieux assiégé, l’importance stratégique d’un pont, l’implication des blessés et des civils, l’infirmerie mise parfois au premier plan du conflit…).
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Niveau worldbuilding, en fait on a supprimé l'Océan Atlantique, et les grandes espaces américains ne sont séparés des collines écossaises et des plaines britanniques que part un remake du Mur d’Hadrien, une grande muraille construite par les hommes pour les protéger des barbares et des créatures du Monde Sauvage dont certains protagonistes empruntent tellement aux amérindiens Iroquois et Algonquins que quelques petits anachronismes sont parfois commis (scalps, mocassins, épis de maïs...).
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Pour le reste Alba = Angleterre, Galles = France, Ibéria = Espagne, Morée = Grèce, Empire = Byzance, Archaïques = Romains… et la suite de la saga nous amène dans les équivalent de l’Afrique du Nord, du Proche-Orient et de la Turquie… sans parler des banques étrusques ! ^^
L'auteur canadien a réalisé ce que je réclame depuis des années à savoir bien marier les héritages européens aux héritages nord-américains, plutôt que de tourner en rond en recyclant une histoire anglaise matinée d'allégories sur l'opposition entre Vieux Monde et Nouveau Monde comme l'ont fait bien trop d'auteurs étasuniens pas toujours très inspirés...
Car ici le Monde Sauvage est une métaphore de l’Amérique précolombienne : entre la novice Amitia qui m'a fait penser à la Candice Bergen du Soldat Bleu et l'esclave Peter qui m'a fait penser au Richard Harris d'Un Homme nommé Cheval, les réminiscences des westerns contestataires des années 1970, voire des westerns pro-indiens est-allemands sont légions.
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S'il a déjà écrit moult romans d'espionnage et moult romans historiques, l'auteur canadien rédige ici son premier ouvrage fantasy. Et s'il n'échappe pas à ses influences dans le genre, il les assume en toute honnêteté, ce qui est tout à son honneur :
- de Katherine Kurtz, il se rapproche par les descriptions réalistes d’un univers médiéval fantastique
- de Celia Friedman, il se rapproche par le magicbuilding élégant certes mais pas toujours facile à appréhender
- de Glen Cook, il se rapproche avec Michael l'écuyer, annaliste d'une compagnie de mercenaires hauts en couleurs, mais à l'espérance de vie toujours battue en brèche
- de Steven Erikson, on retrouve la galerie de POVs élaborée, le foreshawdowing sophistiqué, les scènes d’action parfois blockbusteriennes, parfois intimes et sans concession, mais aussi le grosbillisme parfois relou…

Dans les qualités on peut penser à un mélange entre David Gemmell et Greg Keyes (les combats contre les créatures du monde sauvage ne sont pas loin de ceux contre les Unis, de par leur violence et leur crudité), mais dans les défauts on peut aussi penser à un mélange entre Ken Folett et Steven Erikson.
La lecture est rendue ardue par une galaxie de personnages qui veulent nous raconter le conflit par absolument tous les POVs possibles et imaginables (chevaliers, hommes d’armes, valets, écuyers, archers, charretiers, tailleurs, prostituées, couturières, religieuses… mais aussi barbares et créatures diverses et variées !). Si c’est parfois admirablement fait, comme ces batailles où on glisse très naturellement d’un camp à un autre, c’est parfois lourd voire indigeste.
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- pourquoi intégrer s’attarder initialement aussi longuement sur les POV de ser John Crayford, de ser Alcaeus, de Rayon du Soleil et de Nénufar, si c’est pour que les personnages disparaissent complètement du récit une fois passé un certain cap ?
- pourquoi raconter toutes les (més)aventures de Random et Gawin si c’est pour qu’ils disparaissent du récit une fois arrivés à Lissen Karak ?
- pourquoi s’attarder longuement sur le destin de Peter, si c’est pour ensuite l’oublier pendant des centaines de pages ?
- pourquoi suivre sur 400 pages des personnages qui vont mourir salement à la première escarmouche ?

Si tout cela ne suffisait pas, il y a pleins de petits trucs qui n’aident pas non plus !
Certains personnage sont nommés tantôt par leur nom, tantôt par leur titre ou leur fonction, tantôt par leur diminutif, tantôt par leur surnom… C’est d’autant plus pénible qu’ils sont particulièrement nombreux. Certains se payent même le luxe d’être nommés à quelques pages de la fin voir de ne jamais être nommé du tout (comme le roi d’Alba qui n’est jamais nommé autrement que « le roi », alors qu’on nous donne le nom de son père et de son grand-père ! c’est fort de café hein…)
De la même manière le bestiaire est nommé différemment selon l’appartenance à un camp ou à un autre… C’est frustrant d’attendre 400 voire 500 pages avant d’avoir une vue d’ensemble sur les créatures du Monde Sauvage.
Bref pourquoi compliquer les choses sans offrir au lecteur un dramatis personae digne de ce nom ? Pour copier son mentor Steven Erikson, l’auteur qui écrit des livres incompréhensibles sans un wiki à portée de clic ??? Et puis une carte, c’était trop demander aussi…


A ce jeu là des éléments centraux du récit sont traités un peu trop légèrement :
* Le whodunit du traître, qui est quand même à l’origine de l’engagement de la compagnie du Chevalier Rouge dans le conflit s’avère maladroitement ficelé
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On nous dit qu’on a lancé de vastes investigations pour découvrir son identité, mais on ne voit jamais personne investiguer.
Comme il n’y a pas de fausses pistes, le coupable saute aux yeux très rapidement, tout le monde semble s’entendre sur son identité, mais on le laisse sévir jusque dans les derniers moments du roman avant de dire « ah oui, c’était lui en fait ! »… Plus que maladroit, c’est un peu bidon tout ça ! Ben oui vu son niveau d’information, l’espion de Thorn est haut placé et cela ne peut pas être une des sœurs ou des novices puisque qu’elles sont toute reliées mentalement à l’abbesse via le puits de magie.
Donc depuis le départ il n’y a guère qu’un seul véritable suspect, allié au Monde Sauvage malgré son fanatisme religieux anti Monde Sauvage bravo la cohérence, et au bout d’1 mois de conflit l’affaire n’est toujours pas réglée…

* Le grand secret de Lissen Carak est balancé, comme pas mal d’éléments importants du roman d’ailleurs (genre la véritable identité du Chevalier Rouge), au sein d’un dialogue anodin de prime abord, mais le souci est un peu plus profond encore !
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La mise en place du roman insiste sur l’opposition entre magie divine et magie démoniaque, mais tout se déroule dans un couvent de bonnes sœurs dévouées à la magie blanche qui exploitent une puissante source de magie verte, et on ne rencontre quasiment que des personnages qui sont à la frontière des 2 types de magies… Thorn a changé de camp, Gabriel et Amitia ont été élevés dans l’autre camp, Desiderata et Harmodius testent les frontières entre les 2 mondes, et Sophie Rae explore la 3e voie avec la bénédiction de l’Ordre de Saint Thomas qui utilise les 2 formes de magie depuis des siècles.
Cela aurait eu plus de sens de bien d’exposer l’opposition entre les deux formes de magies dans le tome 1, pour la faire voler en éclat dans les tomes suivants plutôt que d’envoyer valdinguer aussi tôt les présupposés du worldbuilding et du magicbuilding

* les romances sont un peu fleur bleue, c’est la marque de fabrique de l’auteur ^^
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Au 1er regard on a le béguin, au 2e regard on a le coup de foudre, au 3e regard on se demande en mariage quand on ne se jure pas un amour éternel… Je comprends que traumatisé par une mère toxique, Gabriel rechercher des figures maternelles bienveillantes, et trouve en la novice Amitia une âme sœur car elle aussi enlevée à l’humanité pour être élevée dans le Monde Sauvage… Mais cela reste fleur bleue quand même. ^^

- le joli magicbuilding n’est pas toujours super compréhensible
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J’ai mis un temps fou à comprendre que les passages en italique concernaient le monde éthéréen et pas des flashbacks, des communications télépathiques ou la schizophrénie du personnage principal. Alors si on ajoute les équations magiques, les incantations ésotériques et les théories des ensembles… il faut quand même s’accrocher pour tout piger hein !


Après, comme son modèle Steven Erikson, on fait moult foreshadowing : plein d’éléments du tome 1 trouveront sans doute leur(s) explication(s) dans plusieurs centaines ou plusieurs milliers de pages, et il faudra relire tout cela pour se dire « mais oui, voilà où il voulait en venir ! »
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Que vont devenir les frères de sang Celui-Qui-Donne-la-Mort (Ota Qwan) et Celui-Qui-Donne-la-Vie (Peter) ?
Pourquoi insiste-on sur la découverte de la poudre noire et des armes à feu via le POV de l’apprenti Edward ?
Pourquoi insiste-on sur la sombre transfiguration de Gawin pour ne plus en parler ensuite ?
Pourquoi le dragon d’Erch fait-il semblant de n’avoir pas (pré)vue l’invasion de Thorn ?
Pourquoi les fées ont-elles ressuscité Ranald Lachlan et pas Hector Lachlan ?
Quels sont les jeux de pouvoirs entre les Grandes Puissances ?
A quoi joue donc ce Taxiarque qui manipule Jean De Vrilly ?



Bref, l’auteur a aussi les défauts de ses mentors fantasy (voir mes critiques sur les ouvrages de ces derniers) et si c’est très bien, il y a avait largement moyen de rendre tout cela plus simple donc plus accessible !
Je déconseillerais fortement de lire le roman d'une seule traite : il s'agit d'un gros pavé bien touffu, et certains partis-pris narratifs peuvent être sacrément enquiquinants. Et puis on a des centaines de pages d'escarmouches, d'embuscades, de batailles et de guerres... L'auteur se fait plaisir, mais cela peut être répétitif à la longue. Mais on est clairement dans le 1er tome ambitieux d’un cycle clairement ambitieux !!!
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