
[video][/video]Résumé de Pays Rouge :
Le passé ne reste jamais enterré…
Farouche Sud aurait aimé oublier son passé une fois pour toutes. Mais lorsque son frère et sa sœur sont enlevés et sa ferme réduite en cendres par une bande de hors-la-loi, il est temps pour elle de reprendre ses anciennes habitudes. En compagnie du vieux Nordique qui l’a adoptée, un homme lui aussi marqué par ses démons, Farouche entame un long voyage à travers les plaines désertiques. Un voyage qui les emmène jusqu’aux bas-fonds d’une ville cauchemardesque, frappée par la ruée vers l’or, puis dans les montagnes inexplorées, qu’on dit hantées. Sur leur chemin, règlements de compte, alliances douteuses et trahisons amères se succèdent à la vitesse d’une flèche de barbare.
Car même lorsqu’on croit avoir déjà tout perdu, au Pays Lointain le passé ne reste jamais enterré…

Joe Abercrombie continue d’explorer l’univers réjouissant de la Fantasy spaghetti en suivant les tropes du western :
l’Ouest sauvage avec ses grandes plaines et ses hautes montagnes, la nature impitoyable, les convois de pionniers, les prospecteurs, les trappeurs, la ruée vers l’or, les villes champignons et les villes fantômes, les saloons, les tripots, les bordels, les fermiers et les éleveurs qui espèrent une vie meilleure, les desperados sans foi ni loi, les indigènes sanguinaires souvent nomades et parfois sédentaires, les combats à mains nues ou au couteau, les attaques de diligences…Tout est là : j’aimerais vraiment qu’un fin connaisseur de l’univers des westerns lise cet ouvrage et dresse la liste de tous les films / livres mis à contribution, car on assiste ici à un véritable festival de reprises !
Et je ne préfère pas gloser sur la prose de l’auteur parfois trop visuelle pour la littérature, déformation professionnelle oblige (l’auteur était monteur pour la télévision avant de vivre de sa plume).
Difficile de ne pas penser à feu David Gemmell, l’autre spécialiste anglais du western médiéval, tant les personnages, les situations et les tirades semblent tirer de tel ou tel tome du Cycle Drenaï.
Mieux Placide semble clairement marcher dans les pas d’un Druss, mais un Druss plus sombre et plus profond.
Les deux personnages plongent leurs racines dans l’héritage de R.E. Howard. Que demander de plus ?
Et à quelques détails près, tout est raccord avec les autres ouvrages se déroulant dans le Cercle du Monde créé par l’auteur : nous retrouvons ainsi des rescapé du siège de Dagoska (Temple, Dame Eider, Nicomo Cosca), des survivants de la bataille d’Osrung (Brint, Glama Doré, Dimbik, Hedges), quelques transfuges styriens (Cosca et Eider certes, mais aussi Cordial et Caul Shivers) ainsi que quelques autre figures de La Première Loi (et parfois pas des moindres !)
Comme les précédents ouvrages de l’auteur, on sent que tout est bien construit en amont :

Dans la 1ère partie, sobrement intitulée Les Ennuis commencent, nous présente les protagonistes et les enjeux du romans
D’un côté nous avons Farouche Sud, ex-outlaw désormais rangée, qui se lance à la poursuite des kidnappeurs de sa petite sœur et de son petit frère en compagnie de son beau-père Placide (il y a un côté True Grit, très plaisant dans cette mise en place).
D’un autre côté nous Temple, l’homme de doute, et Sufeen, l’homme de conscience, qui essaient désespérément de limiter les dommages collatéraux occasionnés par les Bienfaiteurs de Nicomo Cosca aux ordres de l’Inquisiteur Lorsen, une pourriture carriériste prête à tout et au reste pour monter en grade.
Des événements tragiques révèlent à Farouche Sud que Placide n’est du tout l’homme qu’elle croyait connaître, et à Temple qu’il est grand temps de penser à une reconversion dans une autre branche…

Dans la 2e partie, bien justement intitulée La Communauté, on lorgne carrément sur La Conquête de l’Ouest !
On pousse le vice jusqu’à organiser un cercle de chariots pour repousser l’attaque des Fantômes, les indigènes nomades qui défendent leurs terres ancestrales des envahisseurs venus de l’Est. Mdr !

La 3e partie, intitulée Fronce, sent bon le revival de Pour une poignée de dollars (à moins qu’il ne s’agisse d’un détournement du Druss la légende de David Gemmell, mais comme ce dernier était déjà un véritable pot-pourri lorgnant sur les terres du western médiéval, difficile de trancher in fine).

La 4e partie, intitulée Les Dragons, est une relecture fantasy du massacre de Wounded Knee
On aurait pu approfondir les thèmes de l’acculturation, de la déculturation et du syndrome de Stockholm avec tous ses enfants enlevés pour être la nouvelle génération du Peuple Dragon… Oui mais non et c’est bien dommage.
Et puis c’est ballot d’avoir introduit un twist de ouf pour ne rien en faire…
Car que serait cette bonne vieille fantasy sans un bon vieux dragon ? lol

La 5e partie, sobrement intitulée Les Ennuis reprennent, est une suite de rebondissements, twists et révélations de bon aloi qui nous mène vers un duel final et le lonesome cowboy qui s’éloigne en direction du soleil couchant.
Attention aux gros spoilers !
Placide / Logen décide de défier l’armée de Cosca au nom de son amitié avec Savian.
Les 2 personnages auraient pu être les alter egos retraités de Butch Cassidy et du Kid, et cela aurait été génial, mais cette amitié entre eux n’a pas véritablement été mise en avant auparavant donc la scène du baroud d’honneur ne peut atteindre ses sommets.
Conthus, le terrifiant et impitoyable leader de la rébellion est Corline. Super le twist, sauf que le personnage n’a pas vraiment pas trop été mis en avant auparavant, donc cela ne peut pas atteindre des sommets qu’on aurait été en droit d’attendre.
Cosca est ici entre le Cheyenne d’Il était un fois dans l’Ouest et le Tuco de Le Bon, la brute et le truand.
Il est assez clairement une allégorie d’un certain Occident qui pense que l’argent fait le bonheur, et que plus on a d’argent plus on doit être heureux, donc qu’il faut accumuler le plus d’argent possible pour être le plus heureux possible. Quelle bande de débiles égocentriques !
Mais il manque quelque chose pour que cela marche : une dose du El Indio de Et pour quelques dollars de plus.
On sent bien que Cosca se sert de l’Union pour poursuivre son propre plan, et qu’il mène l’Inquisiteur Lorsen par le bout du nez pour mettre la main sur le magot du Peuple Dragon. Sauf qu’on ne sait jamais si c’est de la préparation ou de l’improvisation. Quand il demande à ses ouilles de mettre le butin dans la diligence blindée, on se doute bien qu’il s’organise pour mettre les voiles avec Cordial, sauf que cela n’est jamais explicité. Il manque la phrase culte du film de Sergio Leone pour faire sens, et j’ai désespérément attendu un truc du style : « Je savais depuis le début que Placide était le Sanguinaire, et je me suis servi de lui pour diminuer le nombre de nos partenaires et augmenter notre part du butin… »
Par contre le twist du Légat Sarmis du Vieil Empire c’était trop de la balle, je n’avais rien vu venir ! Excellent c’était !
Si j’étais à fond dedans durant 2/3 du roman, j’ai un peu décroché dans les 2 dernières parties.
Je ne veux pas revenir sur les trucs qui ne marchent pas complètement pour faire un bilan d’ensemble.
Le roman n’est pas aussi abouti que les précédents, il m’a semblé manquer d’un peu de maturation.
Il aurait sans doute gagné à être un peu plus travaillé pour les rebondissements finaux prennent toute leur ampleur.
Il aurait sans doute gagné à être un peu plus travaillé pour certains personnages et certains thèmes soient mieux filés.
Tous mes bémols pourraient se résumer à un souci de narration : tout est narré au travers des POVs de Farouche Sud et de Temple, mais ce sont d’autres personnages qui sont au cœur de l’action et qui possèdent les clés du roman : Placide, Nicomo Cosca, le Maire, Savian, Corline, Dab Accort, Roche Pleureuse, Waerdinur (qui semble être un autre transfuge du cycle de La Première Loi, mais ma mémoire me fait défaut)…
Car après tout, et c’est de plus en plus sensible depuis Servir Froid, l’auteur s’éloigne de la déconstruction de la Fantasy pour se rapprocher de quelque chose de moins amoral et de moins cynique, de moins froid et de moins noir. Bref, d’une heroic fantasy à la David Gemmell. Sauf qu’il n’arrive pas à aller ou bout de cette idée car il est piégé par l’univers et les personnages qu’il a mis en place dans son premier cycle, qui lui était grimm & gritty à souhait. C’est ainsi que j’explique la mort de quelque personnages, dont je tairai les noms, qui ne dépareilleraient pas dans une saga amorale à souhait comme Le Trône de fer de GRR Martin, mais qui ici ne marchent qu’à moitié. Car oui les trucs cyniques et amoraux cohabitent mal avec les trucs humanistes à la Akira Kurosawa ou à la Sergio Leone.
Bref, le côté dark se marrie de moins en moins bien avec le côté héroïque qu’il me semble vouloir développer. Je comprends donc parfaitement que Joe Abercrombie ait envie de faire table rase du passé pour entamer un nouveau cycle avec Half a King.
Dans tous les cas, enjoy !

