[Cycle] Le Projet Eidolon / Ian Tregillis

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Albéric
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[Cycle] Le Projet Eidolon / Ian Tregillis

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Résumé du tome 1 : Les Racines du mal
Nous sommes en 1939.
La guerre bascule après la découverte par un espion britannique de documents confidentiels traitant d’un programme nazi ultra secret sur la création de surhommes aux pouvoirs dévastateurs. Certains peuvent traverser les surfaces solides, d’autres créer des jets de flammes ou encore voir l’avenir.
Pour lutter à armes égales, les Anglais font appel à des forces interdites et les derniers sorciers du royaume passent un pacte avec des puissances antédiluviennes, les Eidolons.
Toutefois, la sorcellerie a un prix, et les sacrifices consentis pour vaincre l’ennemi se révèlent bien plus terribles que la défaite. Comment faire pour reprendre le contrôle de cette guerre qui pourrait être la dernière que le monde connaisse ?

L’auteur pioche largement dans le techno-thriller d’un côté, dans le fantastique d’un autre côté.
On sent bien que les maîtres de la littérature horrifiques sont bien connus et bien digérés
On voit bien que les codes du roman d’espionnage sont bien maîtrisés.
Le mélange des genres est réjouissant d’autant plus qu’on pioche aussi dans les pulps et les comics !
L’ensemble se déroule avec la Deuxième Guerre Mondiale pour toile de fond, donc difficile ne pas être accroché.
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On assume à 100% le côté Série B, et j’adore cela d’autant plus que l’écriture est facile d’accès et que les POV’s qui s’enchaîne agréablement savent distiller une ambiance sombre qui mine tous les personnages du roman : on navigue des nuances de gris de plus en plus sombres au fur et à mesure que les pages défilent.


J’ai rapidement pensé aux trucs suivants :
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- dans Jonathan Strange & Mr Norell de Suzanna Clarke, un magicien un érudit et un magicien autodidacte mettaient leurs talent au service d’Angleterre en guerre contre Napoléon, quittes à attire ter l’attention des forces d’Outremonde.
- Dans le très sailpunk L’Âge de la déraison de Greg Keyes, Benjamin Franklin et ses compagnons affrontaient les Malakims, des créatures immatérielles qui voulait éradiquer l’humanité en manipulant ces derniers pour les mener à leurs propre perte.
-dans Les Puissances de l’invisible de Tim Powers, des espions britanniques sont confrontés à leurs rivaux étrangers dans une course à la maîtrise d’être inhumains aux pouvoirs fabuleux mais éminemment dangereux.
- dans la 3e saison de la série de la BBC Torchwood, le gouvernement britannique cherchait à tout prix à cacher le fait qu’il obtenait les faveurs d’une race alien en dealant des enfants promis à un sort pire que la mort…


Au rayon des points positifs, la relecture du conte d’Hansel et Gretel.
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On commence dans une Allemagne dévastée avec un frère et une sœur perdue dans une sombre forêt qui sont recueillis dans une belle maison par un vieux monsieur louchissime à la fois gourmet et glouton…
La sœur travaille pour le vieux monsieur alors que le frère est enfermé dans un caisson en fer…
La sœur va tout faire pour que le vieux monsieur périsse dans les flammes avec sa belle maison…
Arrivé à ce stade autant les appeler Hansel et Gretel au lieu de Klaus et Gretel, cela aurait fait sens !

Et puis on aurait pu aller beaucoup plus loin dans la thématique du délire de la race supérieur tant on sent une hostilité entre Klaus et Gretel d’origine gitane, qui sont les produits les plus abouts des travaux du Docteur von Westarp, et les autres Übermenschen issus de la race aryenne. Oui mais non. Et pour ne rien gâcher les 2 enfants gitans, devient super-voyante pour la sœur et super-voleur pour le frère… bienvenu dans le monde merveilleux des clichés persistants !
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Le moteur de l’intrigue reste les motivations de Gretel l’oracle. Motivations complètement insondables.
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Veut-elle sauver le monde des eidolons ?
Veut-elle détruire le monde grâce aux eidolons ?
Veut-elle détruire le IIIe Reich avant le début de la Solution Finale ?
Veut-elle assouvir sa vengeance contre son créateur et tortionnaire ?
Veut-elle que les grandes puissances s’entredétruisent mutuellement ?
Ou est-elle juste complètement tarée ?
On n’en sait fichtre rien. Du coup dans chaque cas de figure les incohérences sont de mises.

Mais le personnage amène une grosse dose de parano qui vient renforcer l’ambiance sombre du roman.

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Assez clairement, l’auteur veut établir un parallèle entre les atrocités commises par les mutants de von Westarp d’un côté, à travers les doutes et les états d’âmes du POV de Klaus, et les atrocités commises par les sorciers de Stephenson d’un autre côté, à travers les doutes et les états d’âmes de Will Beauclerk. Le POV de l’espion désabusé Raybould Marsh doit faire le lien en découvrant au fur et à mesure les secrets des uns et des autres.
Sauf que cela ne marche pas bien du tout.
Si l’auteur s’attarde suffisamment sur les Fantastic Four nationaux-socialistes pour nous montrer que chacun d’entre eux est un gros psychopathe, il survole les membres du cercle britannique au point d’être plus que pudique sur le prix du sang à payer pour avoir accès aux pouvoirs quasi divins des Eidolons.
Dans le traitement cela se sent aussi, car même si l’auteur passe sous silence la manière dont von Westarp travaille sur ses cobaye (on a droit à quelques souvenirs de Klaus, et quelques uns de ses frissons quant il parle des fosses communes remplacées par des fours crématoires), le côté scientifique des mutants nazis est mieux amené et plus longuement explicité que le côté magique de sorciers anglais (après tout l’auteur est docteur en physique…).
Et pour couronner le tout on passe beaucoup de temps avec Marsh qui finit par ressembler à un fonctionnaire lamba d’un Tom Clancy lambda, presque un random personnage de techno-thriller (alors qu’on aurait pu avoir un émule de James Bond qui aurait largement dynamisé le tout). J’ai eu du mal à croire à ses infiltrations dans le camp ennemi (on a presque les mêmes dans le dernier épisode de série télé Fleming, et c’est traité au 2e degré avec une pointe d’humour alors que là on est au plus 1er degré qui soit). Et je n’ai pas cru une seule seconde à son histoire d’amour avec Olivia tellement c’était cliché… Alors comment voulez que je croie au triangle amoureux homoérotique avec son ancien camarade d’université devenu gravement toxicomane au cours du roman ? C’est plaqué artificiellement sur le reste.

Ce qui pourrait également s’avérer gênant pour un lecteur averti, c’est que n’importe qui ayant lu un ou deux livres que la WWII va trouver le background du livre assez pour ne pas dire très faiblard.
Tout est centré sur l’affrontement entre l’Angleterre et l’Allemagne. Et celui-ci se limite à la Manche, le Blitz et 1 ou 2 mentions de l’Afrique du Nord. Passé la débâcle de Dunkerque on oublie le continent comme le Commonwealth, l’URSS n’apparait qu’à 75 pages de la fin, et les Etats-Unis et le Japon qu’à 5 pages de la fin… Si l’auteur s’est autant documenté sur les grades de la Wehrmacht, il aurait pu aussi faire un effort sur le reste.
Et si on est dans bien dans l’uchronie, d’un côté on amène des éléments qui ne servent strictement à rien (genre la reconquête d’Albion par les Bretons et l’invasion des Nouveaux Huns…), et d’un autre côté on amène des éléments qui n’ont aucune conséquence sur d’éventuelles divergences avec l’Histoire (les mutants nazis permettent oh surprise la traversée des Ardennes et le Blitz sur Londres… Bonjour l’originalité hein !).
Ian Tregillis s’excuse en préface de ne pas être historien, mais pas besoin d’être historien pour étoffer un peu le background d’une période historique aussi bien connue que celle de la Seconde Guerre Mondiale.

Au rayon des points négatifs également la caractérisation que personnellement j’au jugé déficiente et/ou faiblarde.
J’ai mis 300 pages pour enfin mettre un nom et un pouvoir à tous les membres de à me représenter les personnages et les pouvoirs de Reichsbehörde für die Erweiterung germanischen Potenzials, qui sont les personnages que l’auteur met le plus en avant je vous laisse imaginer pour les autres !
Cette lacune déborde sur des dialogues qui tombent parfois à plat : comment voulez-vous vous intéresser à des personnages sans description physique pour vous les représenter ni description psychologique pour vous y attacher.
Je prends un exemple : Marsh et sa femme Olivia papotte sur plusieurs pages météo, fleurs, fruits et légumes avant que le récit de la débâcle de Dunkerque ne soit expédié en quelques lignes…

Dans le négatif aussi un foreshadowing bancal : ou tout est trop explicite (on nous balance tout le concept des eidolons et du prix à payer pour leur service dès leur première mention) ou tout est trop nébuleux (le pourquoi du comment des mystérieux fantômes croisés par Gretel et Walsh sera expliqué dans les tomes suivants).

J’ai lu ailleurs sur la toile « nombreuses superbes scènes d’action », « mise en scène spectaculaire », « conflit dantesque »…
Parlons franchement : il y a 2 vraies scènes d’action en tout et pour tout (4 si on compte le prologue et l’épilogue).
A ce niveau là, on est encore très loin dans la même veine des Chroniques du Grimnoir de Larry Correia.
Et si il y a une montée en puissance jusqu’à l’opération commando sur la Ferme n°1 (une excellente scène de baston qui aurait été meilleure encore sans la belle ficelle des pixies), ensuite on tease pour les suites dans un decrescendo que j’ai ressenti comme un pétard mouillé (la chute de Berlin et du IIIe Reich sont traitées hors-champ… !).

Pour le meilleur comme pour le pire on sent parfois le mentorat :
- on retrouve le trope pour l’arcanepunk de son parrain Walter Jon Williams (Plasma), c’est cool !
- on retrouve certains tropes de grands noms d’horreur, c’est cool mais c’est assez symptomatiques que les passages les mieux écrits du roman soient ceux qui empruntent largement à H.P. Lovecraft
- on retrouve le trope pour le twist dark de GRR Martin qui l’a embauché dans son écurie Wild Cards (le créateur du Trône de Fer ferait mieux d’arrêter de qualifier d’auteur incontournable l’intégralité de ses poulains et de ses amis)
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Je ne sais pas si l’auteur a voulu rendre hommage au grimm & gritty à la GRR Martin dans cette histoire de suicide suivi d’un viol nécrophile concernant des personnages qu’on a finalement très peu vu auparavant dans le roman…
Et on plus l’auteur nous explique que tout cela a amené par les subtiles machinations de Gretel qui a offert à Reinhardt ce qu’il désirait le plus au monde pour l’avoir à sa botte… OMG qu’est-ce c’était inutile et pire encore mal fichu !

- les connaisseurs reconnaîtront dans les corbeaux des interludes, un auteur de fantasy bien connu…


Au final de la bonne littérature de gare et ce n’est pas du tout péjoratif dans mon esprit : j’aimerais trouver plus souvent ce genre de roman dans les kiosques Hachette au lieu des pavés de Tom Clancy & cie qui tirent trop souvent à la ligne.
J’ai bien conscience d’avoir été sévère avec ce début de cycle, et j’espère n’avoir dégoûté personne de le lire car je suis persuadé que certains lecteurs pourraient bien kiffer ce que moi je n’ai qu’apprécié.
Et puis pour un premier roman, si l’exécution pêche les intentions elles restent bonnes.
Moi-même je lirai la suite en espérant que les défauts soient gommés ou au moins atténués…
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