[Cycle] Green Universe / Jay Lake

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Albéric
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[Cycle] Green Universe / Jay Lake

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Résumé du tome 1 : Jade
Elle est née dans la poussière et la pauvreté d’un village écrasé sous le soleil de l’équateur. Elle ne se rappelle pas de sa mère, elle ne se rappelle même plus son nom. Son plus ancien souvenir remonte au jour où son père l’a vendue à ce grand homme au teint de lait. Dans la cour du Grenadier, où on lui a enseigné à devenir une grande dame et une courtisane accomplie, elle fut baptisée Émeraude, joyau parmi les beautés sélectionnées pour un duc immortel.
Elle s’est choisi un autre nom : Jade.
Au centre de ce monde, où les dieux s’immiscent dans les affaires des hommes, règne le duc immortel de la cité de Hautcuivre, qui contrôle tout le commerce de la mer des Tempêtes. Mais le duc n’est pas tout-puissant, et l’œuvre des siècles n’a pas éradiqué tous ses ennemis. Jade a été éduquée pour devenir le jouet des hommes. Certains voient en elle le moyen de parvenir jusqu’à lui, et de le tuer en brisant le sortilège qui le maintient en vie. C’est ainsi que Federo et la Chorégraphe deviendront les seuls amis de Jade, et que la réussite du complot visant à débarrasser Hautcuivre du tyran reposera entièrement dans les mains d’une jeune esclave rebelle.

Ou je suis passé totalement à côté du truc ou le livre est particulière mal fagoté.
Ce n’est pas l’histoire d’un aller et d’un retour, mais celui d’un double retour à la case départ.
Je n’ai pas souvenir d’avoir lu une histoire aussi bancale, hormis certains romans expérimentaux de Roger Zelazny qui n’était pas destinés à être publiés. Je me demande comment l’éditeur Tor Books a pu publier cela en l’état.
Et je n’ai même pas envie de commenter le 4e de couverture d’Eclipse qui fleure un peu l’escroquerie…

Jay Lake reprend la formule du très bankable Brandon Sanderson, pur produit des ateliers d’écriture américains, à savoir endormir les lecteurs avec un faux-rythme sur plusieurs centaines de pages pour mieux le prendre par surprise dans les 75 dernières en l’assommant avec une avalanche de twists et de révélations.
Sauf que ça ne marche qu’avec une bonne exposition des enjeux et un teasing suffisamment bien dosé, et ce n’est pas absolument pas le cas ici : les enjeux sont explicités à 50 pages de la fin et il n’y aucun fil directeur entre les différentes parties du roman, qui se lisent plus comme des récits séparés qu’autre chose donc on se retrouve sans aucune tension narrative.
On aurait collée à la suite 3 nouvelles de l’auteur, on n’aurait sans doute pas fait pire.
Et sur 400 pages Jay Lake nous fait du Robin Hobb, ce qui est parfaitement antinomique avec la méthode Sanderson (en plus il n’y a même pas de chapitrage qui pourrait dynamiser le tout)
Fatalement, avec un tel développement le grand final ne peut être que très décevant sinon complètement WTF...


Jay nous fait le mariage de la carpe et du lapin en commençant par de low fantasy entre la Princesse Sarah de Frances Eliza Hodgson Burnett et le Kim de Rudyard Kipling (on est donc dans le roman d’apprentissage), avant de basculer dans la high fantasy grosbill ou tout le monde ou presque a des pouvoirs divins.
On a quelques lourdeurs (théogonie, théogénie, casuistique, dialectique, fragmentation psychique), mais rien de bien méchant.
Le style de l’auteur est vraiment très bon, la prose se faisant très sensorielle (je gage que le travail de la traductrice Valéry Reigneaud n’y est pas étranger). De même, la description de l’Extrême-Orient tropical qui a vu naître Jade sait être évocatrice en très peu de mot. Dommage de cloîtrer l’héroïne presque immédiatement.
On a d’abord une longue phase de formation de courtisane qui alterne cuisine, couture et brimades.
Cette partie entre Robin Hobb et Jacqueline Carey est très réussie et assez immersive.
Mais le premier rebondissement du roman est géré n’importe comment et initie une phase d’action et d’intrigue torchée en quelques pages à l’image de cette d’action « de haute volée » expédiée en quelques lignes…
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Quand l’héroïne connaît ses premières règles, elle pète un câble, s’automutile le visage et tue sa tutrice en chef. WTF ?
Elle est rattrapée dans sa fugue et aidée dans sa cavale par Federico et la Chorégraphe qui lui révèlent qu’ils sont des révolutionnaires qui veulent assassiner le Duc, en lui retirant son immortalité, mais pour cela il faut lui murmurer à l’oreille une formule magique dans une langue contre laquelle il ne s’est pas encore prémuni.
Federico était chargé de sélectionner une jeune étrangère suffisamment rebelle pour ne pas être formatée par le Faiseur.
La Chorégraphe était chargé d’en faire une ninja une fois entrée dans l’écurie du Faiseur pour qu’elle puisse agir en tant qu’assassine une fois glissée dans la couche du Duc.
Mais le Faiseur et le Duc en font qu’un ! L’auteur veut faire une révélation fracassante, mais comme on a vu ni l’un l’autre auparavant et qu’on ne sait absolument rien de Hautcuivre, de son gouvernement et de sa société, c’est très bof.
La chute du Duc immortel, de ses soldats immortels et ses serviteurs immortels (on sent l’influence de son ami Brandon Sanderson…) fait très contes de fées, et j’ai vraiment cru qu’on allait bâtir un magicbuilding dessus. Oui mais non.

Retour à la case départ, avec un très émouvant mais très court retour au pays.
Je me suis dit que ce n’était que la mise en place et qu’on allait passer à autre chose, mais on poursuit avec une longue phase de formation d’assassine qui alterne kung-fu, prières et brimades. Pourtant c’est au final la partie de j’ai préférée, l’auteur étant assez inspiré pour nous décrire un Extrême-Orient à la fois crasseux et glorieux, avec ses us et coutumes exotiques. Mais là encore, l’auteur se sent obligé de cloîtrer très rapidement son héroïne
Dans la dernière partie, fatalement truffée de trucs bizarres puisque que rien n’est amené avant le dénouement (comme cette succession finale de deus ex machina digne d’un mauvais shonen), tout s’effrite et se décompose très rapidement. On peine à trouver les subtiles intrigues politiques évoquées par l’héroïne, car elles sont ou implicites, ou incohérentes, ou maladroites… Dans tous les cas vraiment rien de complexe ou de subtile.
Hautcuivre est menacé par un chef bandit. Comment une nation impérialiste peut-elle trembler devant une armée de 1000 hommes (qui passe à 10 000 comme par magie à quelques pages de la fin) ? On se le demande.
Et pourquoi les nouvelles autorités ont désespérément besoin de Jade pour résoudre le problème ? On se le demande.
Et dès qu’on revient à Hautcuivre on enquête directement dans les égouts pour se retrouver nez à nez avec des dieux semi-comateux, des grands-prêtres, des théopompes et des avatars tous plus bizarres les unes que les autres. WTF !
Il y a un whodunit sur l’identité du redoutable seigneur de guerre. Et quand le vient la révélation… Sérieux OMG WTF !
L’auteur tente bien d’apporter des éclaircissements, mais du coup on se retrouve avec une avalanche d’incohérences.
Et pour couronner le tout, le moteur du récit est apparaît vraiment à 50 pages de la fin : la dispersion théogonique.
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Pour faire simple, les dieux naissent, vivent et meurent en fonction du nombre et de la foi de leurs adorateurs.
Concept supracool développé avec humour par Fritz Leiber, repris par exemple dans La Trilogie des avatars de Richard Awlinson ou La Rose du prophète de Margaret Weiss et Tracy Hickman.

Mais ce qui ici aurait être génial tombe complètement à plat car l’auteur balance tout cela sans effort de worldbuilding. Difficile de faire plus maladroit que cela. Oui bon après coup, tous les récits mythologiques et les discussions théosophiques disséminés çà et là et qui semblaient ne servir à rien prennent sens, mais cela reste quand même particulièrement mal fichu.

Niveau psychologie des personnages je m’interroge car les motivations de Jade sont confuses voire contradictoires.
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D’un côté l’auteur rend très loin les sentiments de cette petite orientale qui résiste avec ses armes à l’acculturation forcée dont elle est l’objet, s’accrochant désespérément à ce qu’elle peut (ses souvenirs d’enfance avec sa grand-mère, sa robe de clochettes et le vieux bœuf Endurance), avant de se rendre compte qu’un retour à la normale est impossible car elle a trop changé pour s’intégrer à la culture de son pays d’origine. On est dans la thématique de la résistance à la colonisation.
D’un autre côté il y a des éléments forcés voire caricaturaux.
Le père de Jade l’a vendue à un étranger : elle va inconsciemment détester les figures masculines (sauf les gays, voir plus loin).
Elle est élevée pour devenir la prostipute du Duc, donc par esprit de contradiction elle va devenir lesbienne.
Elle est brimée, fouettée et humiliée à répétition ? C’est tout naturellement qu’elle va développer des tendances BDSM…
Oui les adolescents sont versatiles, mais Jade change souvent d’avis et assez radicalement !
Elle fait tout pour revenir chez elle, mais laisse tomber quelques instants après y être parvenue à destination.
Elle jure de ne jamais revenir à Hautcuivre mais y revient dès qu’on l’y rappelle.
Sa relation avec la Chorégraphe ? je t’apprécie, je te déteste, je t’aime, je te hais… Bref du je t’aime moi non plus jusqu’à la plus mauvaise scène que j’ai jamais lu en Fantasy en dehors de Terry Goodking (une scène de cul lesbiano-xénophile avec du BDSM crade et un macho libidineux qui mate toute cela en gémissant de plaisir) !
Elle jure de consacrer sa vie à la lutte du trafic d’enfants mais ne fait absolument rien du tout pour changer les choses…
Les autres personnages sont peu nombreux, pour la plupart ils ne font que passer en coup de vent dans la vie de Jade, et s’ils ne le font pas sont terriblement peu approfondis. Franchement, absolument rien de marquant pour un livre de 550 pages.


Le wordbuiding donne l’impression d’être famélique. Il aurait pu être intéressant, mais en fait il ne sert à rien…
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Une hutte près d’une rizière, une cabine de bateau, la cours du grenadier, une cabine de bateau, la cours de la Déesse du Muguet, le temple de Sang-Noir, la tente du supervilain. On est dans l’huis-clos intimiste durant presque tout le roman.
Même quand on prend l’air c’est de nuit voire dans les égouts. Je ne sais si une allusion à l’agoraphobie d’un proche de l’auteur, mais c’est carrément frustrant !
On ne saura rien sur Hautcuivre et la côte de Granite, on n’en saura rien sur les 400 années de tyrannie du Duc, on ne saura presque rien sur le peuple félin des Pardins, on ne saura presque rien sur le Sélistan et la Cité-Etat de Kalimpura.
On voit bien que le Sélistan symbolise l’extrême orient exotique et mystérieux et Hautcuive un Occident colonialiste à la vieille de la Révolution Industrielle : il y a un petit côté sailpunk voire steampunk, mais l’horizon est constamment bouché par quatre murs…


Il y a un aussi fond sexuel un peu douteux qui sous-tend une bonne partie du roman.
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Les allusions gays ne servent à rien : WTF ! Les romances lesbiennes déboulent de nulle-part : WTF !
Si l’auteur ne ménage pas ses efforts pour construire une héroïne adolescente lesbienne crédible, cela ne marche pas.
Car dans le roman colocataires féminines = lesbiennes (comme cette sororité d’assassines de moins de 15 ans), hommes = gros machos libidineux, l’héroïne va forcément les affronter, et les exceptions à la règle sont forcément gays, et l’héroïne va forcément se lier d’amitié avec eux.
Oui je me répète là, mais c’est tellement grotesque passé un cap…
Jade hurle régulièrement qu’elle n’est la catin de personne, mais baise comme une bête avec le premier mec un peu prévenant (gay forcément)…
Jade qui dit tout savoir de la nature féminine s’étonne d’être tombée enceinte après son premier rapport sexuel avec un mâle. On se croirait dans une mauvaise telenovela !
Et les tendances sado-maso de l’héroïne adolescente vont et viennent sans prévenir : WTF !

J’ai longtemps pensé à une émule de la Phèdre de Jacqueline Carey, mais ce cycle fonctionnait parce qu’on avait un univers uchronique fouillé, une galerie de personnages intéressantes et des intrigues bien ficelées. Rien de tout cela ici malheureusement.


J’aurais vraiment aimé adorer ce livre, d’autant que l’auteur a une belle plume et un gros potentiel.
Il y a des passages excellents, et des passages torchés qui les font oublier.
Et comme les bons passages sont au début et les mauvais à la fin…
Si on voulait faire un roman d’apprentissage, la dernière partie ne sert à rien et vient contredire tout le reste. Si on voulait refaire un Assassin royal au féminin, tout condenser en 1 seul volume c’est n’importe quoi. Si on voulait décrire une bataille entre dieux, les 400 premières pages ne servent à rien et viennent contredire tout le reste. Si on voulait refaire un cycle à la Sanderson, attendre la fin pour faire de l’action et du suspens c’est n’importe quoi.
Je ne mets pas 1 étoile parce que l’auteur a une belle plume, mais l’ensemble m’a semblé être un gros gâchis. Je suis très sévère. Je dois même donner l’impression de rager inutilement, mais la déception est à la hauteur des promesses entrevues dans la 1ère moitié à Hautcuivre puis à Kalimpura.
Notez que l’auteur livre un combat contre son cancer et s’est fortement engagé dans la lutte contre le cancer.

Edit :
Avec du recul, en virant la partie à la Jacqueline Carey et la partie à la Brandon Sanderson, on aurait pu construire un excellent Kung-Fu (la vieille série avec David Carradine) fantasy à partir de la partie se déroulant à Kalimpura... Là cela aurait vraiment été original pour le coup !

Et puis ce délire américain des mariages précoces… Société pré-contemporaine = mariage à 12 ans ?
C’est un fantasme ou quoi ???
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