J’avais appréhendé ma relecture printanière du cycle. Finalement cela se relit très bien.
Je n’en ai que mieux apprécié les aspects positifs

, et mieux subi et regretté les faiblesses…
Mathieu Gaborit aime la fantasy, cela se voit, il a des affinités avec ce genre, cela se sent.
Commençons par un monde découpé en royaumes dédiés aux créatures mythologiques :
- Chimérie et Empire de Grif lorgnent vers les fondamentaux du médiéval-fantastique
- les provinces licornes qui fleurent bon les senteurs du désert des mille et une nuits
- les cités taraséennes nomades construites sur des monstres marins
- la Basilice, royaume sylvestre dirigé par les druides noirs
- la Caladre, royaume septentrional dirigé par les moines blancs
Et ajoutons les contrées pégasines, les rivages aspic, le royaume dragéen… et la Charogne !
Bref un univers qui rappelle aux bons souvenirs de la saga
Heroes of Might & Magic ! C’est cool !
Spoiler:
les Sombres Sentes qui ressemble à la Route Noire des Princes d'Ambre, les prêtres dont le corps se transforment en fonction des féaux auxquels ils ont dédié leur vie, l’ordre des phéniciers avec ses moines-forgerons et ses épées de feu, les araignées de glaces qui tissent vitraux et armures, les archives vivantes draconiques, les symbiotes jelhenn des sœurs almandines, les moniales-guerrières qui combattent avec des habits-rasoirs, les Pèlerins qui maîtrisent la foudre pour voyager à travers elle ou pour dresser dans la douleur des monstres mutants… sans oublier les sculpteurs de rêves basiliks !
Attention, c’est un univers de fantasy âpre et violent, sombre et désespéré !
Héros torturés, amours tourmentées, des puissants qui voient leurs ambitions s’effondrer, des manants qui voient leurs espoirs s’écrouler, guerriers désespérés, magos psychos… Mathieu Gaborit nous livre un drame eschatologique en 3 actes bourrés de trucs vintage (genre les concubines impériales en tenues diaphanes qui tiennent en laisses de cuir noir des lions de guerre albinos) et de quelques objets grosbill qui incontestablement nous renvoie à l’intournable
Michael Moorcock.
Sur la forme, l’auteur a toujours été un bon conteur :
le style est fluide et agréable à lire, sachant distiller des ambiances lourdes et pesantes tout en faisant en sorte que cela s’enchaîne vite et qu’on n’ait pas le moins du monde le temps de s’ennuyer. Je trouve que Mathieu Gaborit, à de nombreux titres, boxe dans une catégorie proche de celle de
Pierre Pevel mais attention aux scènes d’action souvent très violentes voire même parfois assez gore. Ces passages courts et efficaces m’ont rappelé aux bons souvenirs de
R.E. Howard.
L’embuscade dans la taverne, l’affrontement sur le bac, Tshan infiltrant l’Ordre du Lion, la fuite à travers les égouts, Januel vs Gormi, le survival parmi le royaume des morts, le siège d’El-Zadin... des moments assez immersifs finalement)
Que pouvions nous demander de plus ? de la consistance !
Car là ou souvent on tient le lecteur avec des longueurs inutiles, ici on souffre de précipitations inutiles.
Du coup, on l’impression de traverser des paysages magnifiques en TGV.
Car des défauts récurrents et persistants chez l’auteur viennent gâcher ses œuvres.
Une bonne œuvre de fantasy c’est une bonne synergie entre un récit et un univers.
L’ensemble souffre de nombreuses précipitations donc d’inaboutissement avec le syndrome « maintenant que j’ai un univers, il me faut trouver l’histoire qui va avec et le plus vite sera la mieux ». Du coup c’est très inégal dans la narration et l’immersion avec un rythme qui souffre d’accélérations artificielle destinés à écourter le cycle (ainsi la présentation de la Charogne en début de tome 2 est excellente alors que les 2 chapitres suivants qui permettent de faire le lien avec le tome 1 sonnent faux).
Tome 1 : où comment saboter une bonne mise en place
On nous présente l’univers, Januel commet l’irréparable, on suit sa fuite avec Scende et on s’attache aux personnages, la traque s’organise, on s’approche de la capitale, l’étau se resserre et la tension monte avec la multiplication des scènes d’action et…
paf ! 2 chapitres de révélations explicatives qui auraient gagnés à être dilués sur au moins 100 pages pour amener les choses petit à petit, sur lesquels en plus s’enchaîne une bataille finale qui ressemble à un véritable deus ex machina
Tome 2 : où comment foutre en l’air un suspens du tonnerre
Le Roi et le Seigneur Arnhem racontent leurs plans machiavéliques, on nous montre tour à tour la dangerosité des 4 assassins charognards envoyés pour se débarrasser de nos héros qui se retrouvent piégés dans un cité-navire, on nous explique la monstruosité que sont les féaldhins qui vont s’opposer entre eux et leur tentative désespéré de s’en sortir, les gardes exodins se sacrifient pour la cause, on attend une confrontation au sommet et…
Boum ! Pas de confrontation car Symentz a tué tout le monde pour parvenir à ses fins et les plans élaborés par les uns et les autres tombent à l’eau…
Le dénouement aurait gagné à être dilué sur au moins 100 pages… ne serait-ce que pour faire de la place dans le tome 3 à la fin du monde et à l’impitoyable traque du sauveur à travers les taudis et les palais de le cité des morts.
Bref j’ai l’impression qu’on avait tous les ingrédients pour avoir un truc qui déchire grave…
... Mais que la sauce n’a pas vraiment prise faute de travail ou d’ambition.
- encore une fois une profusion de très bonnes idées imaginatives trop peu ou très mal exploitées…
- encore une fois une foule de personnages secondaires intéressants qui traversent le récit parfois comme des étoiles filantes…
Scende, Tshan, Sildrinn, Sol’Cim, Farel, Gormi, Jaëlle, Aphrane, Symentz, Falken, Arnhem, Adaz, Erzah, Côme, Cylviel, Mel, Fatoum, Zoran…
- encore une fois des ellipses gênantes voire frustrantes qui nuisent à la narration…
on a l’impression qu’il manque 1 livre entre les tomes 1 et 2 pour nous expliquer l’évolution de la situation et la maturation de Januel
on a l’impression qu’il manque 1 livre entre les tomes 2 et 3
pour nous narrer l’invasion du monde par la Charogne et l’effondrement des nations sans parler des infiltrations de Januel, Scende et Tshan au cœur du royaume des morts ou du destin de Symentz balayé en 2 phrases alors qu’il a ébloui le tome 2 de toute sa radieuse noirceur
- encore une fin qui sort des sentiers battus, mais bâclée car trop vite expédiée…
Mais peut-être que le jdr donne plus de sens et de contenu à la fin apocalyptique du cycle ?
Des gros pisse-froid ont parlé de récit convenu et linéraire donc totalement soporifique : c'est n'importe quoi !
Que dire ? On n’a pas lu le même cycle, car bien malin aurait pu prévoir à l’avance
- que Januel allait donner le départ de l’apocalypse en assassinant l’empereur bien malgré lui
- qu’Arnhem allait trahir le Roi en ralliant le sauveur à sa propre cause plutôt qu’en le tuant
- que Symentz allait tromper tout son monde en faisant radicalement place nette
- que Tshan allait suicider Scende après que Falken se soit fait volontairement vampiriser par Arnhen
Et je ne parle même pas de la totale redistribution des cartes du 3ème tome
Si cela c’est sur le fond convenu et linéaire, alors que dire du reste de la production fantasy…
... même si l’essentiel est classique où renvoie aux Grands Classiques, j'en conviens parfaitement.
(il s'agit même de Classiques : l’Épée de Saphir et son Esprit Frappeur ont un air de Stormbringer !)
Cela reste trop léger pour les lecteurs expérimentés ou exigents, mais ceux qui comme moi on (re)commencé la fantasy avec ce cycle ont du se régaler avec l’imaginaire et les fulgurances de l’auteur qui à ses héros ne fait aucun cadeau.
Si le monde n'est pas assez développé, l'auteur a réalisé un cycle court avec des volumes qui ne traînent pas en longueur, avec 300 pages en gros caractères par tome (200 pages par tome dans l'intégrale), d'où une fluidité qui peut changer des gros pavés..
Donc je reste particulièrement frustré qu’autant d’imagination soit sous-exploitée
J’ai encore des tonnes d’images en tête grâce à ce cycle, je continuerai donc bien l’aventure avec le livre-univers !
Et Symentz, ah Symentz : ce personnage est pour moi carrément inoubliable !
Faible mentalement, dérangé par moment, mais puissant et terrifiant dans sa détermination.
Le sculpteur de rêve de l’école du métal, télépathe et télékinésisté de très haut niveau qui fait trembler les redoutables Seigneurs de la Charogne, est un tueur à la fois barré et autiste, limite psychopathe, mais il est va tout mettre en œuvre pour prolonger le bonheur qu’il a autrefois connu dans le délire érotomane qu'il s'est construit dans les bras d'une prostituée. "impossible" n'est pas Symentz et il ne lésine pas sur les moyens pour le réaliser !