
Il était une fois en Styrie les psychopathes, les brutes et les truands.
J’ai lu ces 666 pages uniquement avec du Ennio Morricone en fond sonore : c’était l’éclate totale !
C’est la foire à la vendetta impitoyable. Tout le monde veut se venger de tout le monde.
Cela trahit dans les sens, les alliances contre nature se multiplient et les dommages collatéraux sont légions…
L’ensemble baigne dans une amoralité parfois au 2e degré, parfois complètement étouffante.
Et les nombreux moments d’humour noir peuvent déboucher sur des scènes d’une grande noirceur.
Autant le dire tout de suite, Joe Abercrombie est un digne héritier de Glen Cook (La Compagnie Noire)
Un cinéphile averti pourrait lister tous les films de capes et d’épées, tous les wu xia, tous les westerns spaghetti et tous les films de gangsters qui sont mis à contribution : le tâche est ardue car les références sont nombreuses.
On alterne sans transition dialogues légers et ultraviolence, petits espoirs et grandes désespérances.
On recourt allègrement à la vulgarité, à la bagarre et au sexe mais on est loin des gimmicks de Richard Morgan !
Bref on retrouve tout un esprit tarantinien de bon aloi : marche-t-on dans les pas de Kill Bill ou d’Inglorious Basterd ? Dans tous les cas on est plus près des Douze Salopards que Sept Mercenaires !

Pour atteindre ses objectifs, Monza réunie une fine équipe de salopiots :
- un guerrier nordique complètement paumé (transfuge de la 1ère Loi)
- un bagnard atteint de troubles obsessionnels compulsifs
- un empoisonneur philosophe atteint d’un complexe d’infériorité, tout droit sorti d’un wu xia hongkongais, et sa sémillante apprentie plus ambitieuse qu’il n’y paraît
- une mère de famille tortionnaire (autre transfuge de la 1ère Loi)
- un condottière alcoolique (transfuge de la 1ère Loi lui aussi)
S’il s’agit d’un roman indépendant, je déconseille fortement de le lire après la trilogie de la 1ère Loi : même univers, même esprit, mêmes thématiques, personnages transversaux, des allusions toutes les 5 pages…
L’introduction est parfaite : on est tout de suite plongé dans le roman sans passer par une longue mise en place.
C’est très bien construit : à chaque partie correspond une cité, un plan, un développement et un dénouement.
Les 7 parties du roman constituent ainsi autant d’étapes dans la quête de vengeance de Monza.
Et comme c’est du Joe Abercrombie rendez-vous à l’amère fin qui renvoie tout le monde à la case départ.
Monza marche ainsi dans les pas de Glotka, Caul Shiver dans ceux de Logen Neuf-doigts…
Mais c’est plus subtil que cela et on retrouve tout l’esprit sergioleonesque dans une autre lecture du roman.
Car on nous raconte l’histoire de 2 couples maudits :
- d’un côté on nous raconte l’histoire de Monza à travers les yeux de Caul Shivers
- d’un autre côté on nous raconte en filagramme l’histoire de Benna à travers les yeux de Monza
La 2e finissant là exactement où commence la 1ère, on nous ce qui nous gratifie d’une belle narration à rebours.
Difficile de ne pas penser aux flashbacks du maître du western spaghetti qui raconte une histoire dans l’histoire.
Si Monza suit un chemin qui aurait pu être celui du polémique Nevada Smith (plus elle se rapproche de son objectif, moins la rage la consume), Caul Shivers lui entame une descente aux enfers mêlant amour et haine.
Et que serait un livre de Joe Abercrombie sans un subtext ultracorrosif ?
Derrière les années sanglantes styriennes, qui rappellent le très bon film La Chair et le Sang de Paul Verhoeven, se poursuit la grande lutte entre les banquiers de Bayaz et les religieux de Khalul.


On pourrait croire à un nouvel avatar du choc des civilisations, mais la ligne de fracture pognon / religion divise également la société américaine en générale et le Parti Républicain en particulier.
Une vision pessimiste ? Les personnages qui s’en sortent sont ceux qui ont on dit à la fatalité de la pourriture !
L’auteur ne se gêne pas pour dynamiter notre société moderne bien pensante : on dézingue les politiques et la politique, on dézingue le financiarisme mortifère, on rappelle que le morale ne résiste pas 2 secondes face à l’opportunisme au quotidien, que ladite morale est une affaire de point de vue écrite par les individus les plus ambitieux et les plus cupides, et pour couronner le tout la maxime sans cesse répétée « la pitié, c’est la lâcheté » est celle du tristement célèbre Jack Neutron, maître à penser de tous les managers et directeurs des ressources humaines du monde entier.
Des thèmes éthiques d’une brûlante actualité qui n’ont pas besoin de littérature blanche pour être développées.
Quelques trucs pour autant pas très bien négociés :
Le fine équipe de Monza nous offre de réjouissants moments à la Ocean’s Eleven.
Avec des descriptions plus nombreuses et plus travaillées cela aurait tout balayé sur son passage
C’est vraiment dommage que la plume de l’auteur ne soit pas assez capiteuse pour y parvenir.
Et une fois le groupe éclaté, le rythme et la tension baissent un peu d’un cran.
Le traitement des personnages devient alors inégal et c’est fort dommage !
Castor Mooveer et Cordial avaient encore quantité de choses à nous raconter…
L’histoire de Shenkt n’est pas claire du tout : il nous presque tout pour refaire les évidents liens avec la 1ère Loi.
La relation entre Caz et Shylo est encore moins claire : il manque des trucs pour comprendre leur relation.
Ces histoires d’arcs chargés, d’arc plats et de carreaux… ce n’était pas plus simple de parler d’arbalètes ?
Parce qu’on ne peut pas tenir qqn en joue avec un arc et boire un coup en même temps !
Erreur de l’auteur ou du traducteur ? La question est posée.
Et était-on obligé d’aussi mal traduire le jeu de mot de l’auteur qui se base sur des citations françaises ???
« La vengeance est un plat qui se mange froid » (Choderlos de Laclos)
« La vengeance est un mets que l'on doit manger froid » (Talleyrand)
« La vengeance se mange très-bien froide » (Joseph Marie Eugène Sue)
C’est quand même assez nul de se retrouver avec « Servir Froid »…
J’ai quelque part qu’on pouvait faire des liens avec les Drenaï de Gemmell, et ce n’est pas faux !
On retrouve la cinéphilie qui transpire dans le fond et dans la forme, les répliques qui tuent, le goût pour les références historiques, d’envie de faire du western médiéval, les thématiques politiques, les héros désabusés…
… mais là où Abercrombie va jusqu’au bout de la causticité, Gemmell reste profondément humaniste.
L’auteur anglais confirme bien davantage que ses concurrents américains : Sanderson, Lynch, Rothfuss…
Les rendez-vous sont pris pour The Heroes (fin 2013) et Red Country (2014) !
Mais je n’ai que trop palabré, car comme dit Logen Neuf-Doigts :
(comment peut-on passer à côté d’un clin d’œil aussi énorme ?)
[video]http://www.youtube.com/watch?v=M7dJ5xXJOec[/video]