
Il s’agit la quête idéelle d’un idéaliste : un personnage empathique qui cherche à imposer la paix pour trouver la paix.Année 1096. Lorsque son oncle, Bohémond de Tarente, décide d'abandonner Syracuse et de répondre à l'appel à la Croisade lancé par le pape Urbain II, le prince Normand Tancrède de Hauteville y voit la récompense de ses prières vibrantes. Quitter un Occident qui. inexorablement, s'enténèbre, et marcher sur Jérusalem pour délivrer le Tombeau du Christ et baigner dans la lumière de Dieu... Quel destin plus glorieux pourrait-il y avoir pour un jeune chevalier qui a grandi dans l'ombre d'un grand-père conquérant et d'une mère qui lui a enseigné la foi et la dignité ? Pourtant. par-delà Pont-de-Fer, Antioche, et les premiers carnages, la Terre Sainte se révèle bien différente de tout ce que Tancrède avait imaginé. La médiocrité y côtoie le sublime, la vanité le recueillement, et l'Infidèle s'y révèle plus honorable que le Croisé. Dans cet univers à la géopolitique complexe, le cheminement d'un chevalier ne peut être simple. Tour à tour apostat et assassin, paria et maître, de l'Anatolie à la Mer Caspienne, Tancrède devient l'acteur historique qui. d'abord en son for intérieur puis par ses actes, est appelé à changer le destin de deux mondes, en accomplissant la plus difficile des conquêtes : celle de son identité.
Et pour un connaisseur, je dirais que le réel point de divergence est la mort de Bohémond lors de la prise d’Antioche suivie de l’armée turque qui rebrousse chemin ou lieu d’assiéger les croisés dans la cité.
Car la partie l’Apostat est particulièrement bien documentée d’un point de vue historique : la démarche est très séduisante de s’immerger ainsi dans la 1ère Croisade avec la narration à la 1ère personne, et mieux on connaît les événements réels et mieux on peut apprécier le récit d’Ugo Bellagamba qui nous mène de la Sicile à Jérusalem.
La 2ème partie, dans laquelle l’appellation uchronie prend tout son sens, m’a moins séduit : multiplication des ellipses temporelles, écriture plus froide, narration plus détachée, introspection beaucoup plus intellectualisée.
Un style particulier aussi caractérisé par la concision (les phrases courtes constituent l’essentiel de sa prose) qui masque une grande maîtrise de la langue française, qui s’épanouit dans les trop rares passages descriptifs.
Pour le meilleur et pour le pire, j’ai un peu retrouvé le ton, le style et les thèmes du cultissime René Barjavel !
Bohémond, Raymond de Saint-Gilles, Godefroy de Bouillon, les Pierres de Sang… avaient une présence qu’on retrouve moins dans Gaston, Clorinde, le Vieux et ses Assassins, qui sont plus dans la réflexion que dans l’action.
D’ailleurs tous ses personnages auraient effectivement mérité quelques pages de plus.
Heureusement l’unification de l’umma et le lancement du djihad permet au récit de ne pas terminer en eau de boudin.
Religion, fanatisme, violence, manipulations, personnages qui doutent d’eux-mêmes et de leur mission, j’ai vu en Tancrède, Gaston, Clorinde, le Vieux de la Montagne… de nombreux protagonistes du Prince du Néant.
Sarbon et Tancrède même quête ? Achamian et Gaston même combat ?
Heureusement que les 2 œuvres ne boxent pas du tout dans la même catégorie, car la comparaison aurait été quand même rude avec le chef d’œuvre de Scott Bakker.
Ce Tancrède me donne envie de me replonger dans Les Croisades Vues par les Arabes d’Amin Maalouf.
Mais aussi dans les nouvelles très intenses de R.E. Howard contenus dans le recueil Le Seigneur de Samarcande.
Car nombre d’acteurs des croisades sont de parfaits candidats à des romans historicisants !
(je pense notamment à Conrad de Montferrat, aux sonorités quasiment howardiennes, qui serait quasiment devenu roi de ses propres mains s’il n’avait été assassiné par 2 envoyés du Vieux de la Montagne à la sortie de sa messe de couronnement)
Ce Tancrède donne aussi envie de (re)lire :
- la 8ème colline de Rome, un roman complètement historique pour le coup qui se déroule dans la Nice romaine
- l’excellent Double Corps du Roi coécrit avec Thomas Day !