[Cycle] Basse-Fosse / Daniel Polansky
Posté : 11 janv. 2013, 19:15

Basse-Fosse. La ville du crime. Les hors-la-loi sont rois, les femmes, fatales. Disparaissez, et les gardes s’assureront que personne ne vous retrouvera jamais. Prévôt est dealer. Il a été soldat. Il a été agent de la Couronne. Il a tout vu, et même pire. Difficile de trouver âme plus tourmentée. Il est aussi le plus à même de traquer l’assassin qui sème derrière lui les corps d’enfants horriblement mutilés. Un sinistre jeu de piste, où le chasseur pourrait devenir proie.
Sur la forme :
375 pages pour 20 € avec une magnifique couverture de Fred Augis et un 4ème de couverture qui a le bon goût de ne pas user la gatling à superlatifs.
Merci Bragelonne.
Sur le fond :
Le mélange fantasy et policier est efficace et a souvent donné de beaux résultats. Et ma fois ici encore la recette fonctionne bien avec la prose et l'univers de Daniel Polansky.
Le Prévôt nous balade à travers sa ville de lieux en lieux et d'interlocuteurs en interlocuteurs dans la plus grande tradition des enquêtes policières à l'ancienne. Mais malgré un style et un rythme agréable, ni la description des uns ni la personnalité des autres ne laissent de souvenirs impérissables. Du solide mais du classique car tous les rebondissements sont prévisibles sinon annoncés à l'avance. Je me suis même laissé un peu endormir dans l'enchaînement des faits durant les 7 jours de survis du Prévôt qui constitue l'essentiel du roman.
Et concernant le dénouement :
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effectivement pour la confrontation finale, que personnellement j'avais vu venir longtemps sinon très longtemps à l'avance, je m'attendais à du pyrotechnique ou du tragique... Mais non, c'est sobrement réglé en quelques pages !
Avec la narration à la 1ère personne, un personnage principal cynique qui navigue entre la voyoucratie d'en bas et la voyoucratie d'en haut, avec moult magouilles et une ambiance dignes d’un Roman Noir, le Prévôt de Daniel Polansky marche carrément sur les plates-bandes de Garett (Glen Cook) et de Taltos(Steven Brust).
Il flotte aussi ici et là le parfum de l'Ange de la Nuit (Brent Week) et des Salauds Gentilhommes (Scott Lynch).
Il flotte aussi ici et là le parfum des espaces urbains de Baldur's Gate et The Witcher.
Je me suis remémoré fortement le chapitre « Wyzima Confidential » pour ne pas le citer.
Des ouvertures vers la fantasy urbaine ?
Rigus la cosmopolite, sa ségrégation socio-spatiale en quartiers paumés (gangrenés par les mafias, les gangs, les dealers et les trafics de stupéfiants) et en quartiers huppés (très bons clients desdits dealers et desdits trafics de stupéfiants), ses communautés diverses avec son chinatown et sa Little Italy, son racisme ordinaire et sa police aux ordres du pouvoir aristocratique en place qui s'embourbe dans les conflits d'autorités ou/et de personnalités...
… Toute ressemblance avec une métropole américaine moderne lambda serait-elle purement fortuite ?
Tous ces policiers au lourd passé, du flic de base qui patrouille dans les rues au sosie du tyrannique Edgard Hoover en passant par la criminelle, les experts froids et les groupes d'intervention spéciaux...
Tous ces discours explicites ou implicites sur les partenaires, les ripoux, les boeufs-carottes...
Un Prévôt qui a une bonne tête de Michael Chiklis de la série culte The Shield...
Rappellent sans conteste l'univers des séries policières américaines !
Si on ajoute un scénario dans le plus pure tradition du Hard Boiled (les autorités corrompues, les crapules en tout genre, les femmes fatales, les représentants de l'ordre blasés qui naviguent entre différents niveaux de gris)...
… On pourrait se demander si l'auteur n'aurait pas mieux fait d'aller plus franchement sur les terres de la fantasy urbaine.
Bref :
Ce Baiser du Rasoir est très satisfaisant, mais il lui à nombreux niveau d'un je-ne-sais-quoi pour pouvoir passer un cap supplémentaire. Si tout n’est pas convainquant (worldbuilding, rythme, intrigue), un 1er roman qui a assurément de la gueule.Un auteur que je retrouverais avec plaisir mais que je ne vais pas non plus attendre avec impatience.
Maintenant je passe en mode pinailleur :
Encore une fois un auteur anglo-saxon, pour ne pas dire américain, nous écrit une histoire se déroulant dans un univers médial-fantastique avec :
- du tabac (ramené des Amériques) sous forme de cigares et de cigarettes
- du chocolat (ramené des Amériques aux XVIe)
- du café (diffusé par la France au XVIIe)
- du thé (ramené des Indes au XVIIIe)
- du sucre et du rhum (issu de la canne et donc hors de prix en Europe avant le développent des plantations outre-atlantique au XVIe)
- de la vodka (issu de la pomme de terre ramenée des Amérique), du whisky (Ballantine ou Jack Daniel's) du champagne (mis au point par Don Pérignon au XVIIIe)
Et je ne parle pas des sofas, divans et autres canapés issus du mobilier ottoman...
Du coup avec tous ces éléments on pense d'avantage à la 1ère modernité européenne (1500-1650) qu'à un énième univers médiéval fantastique : si l’auteur avait plus clairement construit un univers capes & épées, tout aurait été raccord.
Liberté artistique, manque d'imagination ou manque de culture ? Choisissez votre explication.
Mais dans la mesure où tous ces éléments apparaissent très souvent conjointement...
On pouvait mieux attendre de la part d'un auteur qui par d'autres côtés s'est fort bien renseigné sur les armes de tranchées de la 1ère Guerre Mondiale, qui fait des allusions savoureuses au krach boursier de Vienne en 1873 et ses conséquences, qui évoque la révolution hollandaise en faisant des Provinces-Unies une république à la fois nationaliste et populaire, et qui fait des liens entre les politiques interventionnistes des « Treize Territoires » (sic) et des intérêts financiers oligarchiques basés dans les « Îles » (faites votre choix entre les nombreux paradis fiscaux anglo-saxons qui sévissent des 2 côtés de l'Atlantique)...