Dans la
Trilogie du Minotaure les humains faisaient irruption dans une Crète fantastique, dans
Soldats des Brumes les divinités et créatures de la mythologie font irruption dans la Grèce du Vème siècle avant J.-C.
D'ailleurs Gene Wolfe nous livre une vision fort bien documentée de la Grèce antique aux lendemains des Guerres Médiques : certains se reconstruisent, certains règlent leurs comptes, certains rentrent au pays, certains continuent la lutte en portant la guerre en terrain perse, certains veulent tirer les marrons du feu…
On rencontre ainsi directement au indirectement quelques grandes figures de l’époque : Mardonios, Thémistocle, le poète thébain Pindare, le régent spartiate Pausanias… ainsi qu’une astucieuse mise en application du théorème de Thalès !
Entre la douce poésie de Burnett Swann et la douce cruauté de Tanith Lee, la prose de Gene Wolfe nous offre des moments magnifiques une séance de nécromancie dans un cimentière athénien, Koré/Perséphone a la fois attirante et repoussante, le fantôme d’Héraklès en coach de lutte, la baiser de la plus jeune des néréides…
Mais c'est brumeux et embrumé ! Que c'est difficile d'accès tant l'auteur ne ménage pas ses efforts pour nous paumer.
A chaque réveil Latro a oublié ce qu’il a fait la veille, et à midi ce qu’il a fait depuis la nuit.
Chaque chapitre est une entrée de son journal, chaque titre de chapitre le début de son récit des événements.
Le concept de Memento historico-mythologique l'emporte ainsi sur les personnages, sur l'univers, et parfois sur une progression récit pas vraiment limpide du tout.
Et c'est bien dommage car à chaque chapitre quand il repart de zéro, et bien le lecteur aussi ou presque.
Gene Wolfe se présente certes comme un simple traducteur/passeur, pourtant il ne ménage pas ses efforts pour nous perdre tout autant que son personnage principal.
Latro doit tout écrire ce qui lui arrive, or il le fait assez épisodiquement…
Latro doit lire chaque jour son journal, or il le fait assez rarement…
Et quand on commence à s’y retrouver, paf une bonne ellipse plus ou moins dodue et il faut boucher les trous de nous-mêmes pour ne pas se perdre définitivement. Negrete avait fait cela dans Zémal, c’était génial, mais là sur 400 pages c’est juste épuisant pour les neurones… (oui parce que cela m'a tellement fatiguer que je me suis arrêté au 1er tome)
Et pourquoi faire simple alors qu'on peut faire très compliqué ? Gene Wolfe renomme les peuples, les lieux et les dieux à sa sauce : bien le bonjour pour s'y retrouver ! Pour faire gagner du temps aux éventuels lecteurs, voici le lexique :
Pensée = Athènes, Attache = Le Pirée, Avènement = Eleusis, Corde = Sparte, Colline = Thèbes, Colline-sous-la-Tour = Corinthe, Cent-Yeux = Argos, Plaine-de-Fenouil = Marathon, Argile = Platée...
Terre-des-Vaches = Béotie, Pays-Silencieux = Laconie, Île des Bœufs = Eubée, Contrées des Ours = Arcadie, Détroit de la Paix = Salamine, Portes-Brûlantes = Thermopyles, Île de Face-Cramoisie = Péloponnèse, Pays des Hauts Bonnets = Phrygie ?, Terre-du-Fleuve = Égypte…
Pour les divinités, on est plus dans le classique malgré quelques surprises :
Tonnant = Zeus, Dieu Prompt = Poséidon ?, Dieu Brillant = Apollon, Grande Mère = Démeter, Dame de Pensée = Athéna, Chevreau = Dionysos, Demoiselle = Koré / Perséphone, Dieu venu de Nysa = Sylès…
Et c'est super sympa pour s'y retrouver d'avoir fait fusionner Artémis et Hécate d'un côté, Aphrodite et Europa d'un autre côté.
Que foutaient ces mercenaires romains dans l'armée du shahdishah Xerxès ?
Qu'a fait Latro/Lucius pour avoir été maudit d'une amnésie rétrograde ?
On se doute bien que ceux que les dieux veulent détruire ils les frappent d'abord de folie, mais le pourquoi du comment...
Qui sont l'homme noir, Pindaros, Hileiara, Euryclytés, Drakaina... ?
Que veulent toutes ces divinités de la Grèce antique qui parlent par énigme ?
Où l'auteur veut en venir avec ses histoires d'oracles, de Dieu Noir, de femme-serpent, de monstre marin, de Neuriens lycanthropes, de fantômes, de griffus, de néréides, de sacrifices humains...
On n'en sait fichtrement rien au bout de 400 pages !
Je dois avouer que finalement, je n’ai pas compris où on allait et cela m'a rapidement gonflé de devoir relire chaque chapitre 2 ou 3 fois et de faire de constant retours en arrière pour essayer d'y voir clair.
Ainsi cette histoire de nécromancien-espion « transexuel » m'a passablement gonflé : le personnage change d'apparence, de mentalité, de loyauté, de sexe et de nom au cours du récit sans guère d'explication.
(même si comme Io on se doute que la femme-serpent réincarnation de Médée a pris sa place : que Latro l'amnésique rétrograde n'y voit que du feu OK, mais que les Spartiates se laissent abuser c'est bizarre... quoique que ceux qui pourraient y trouver à redire meurent successivement, le plus souvent mordus par une vipère)
Effectivement un concept fascinant, soutenu par le talent d'un écrivain effectivement au sommet de son art.
Je salue la gageure littéraire et l'entreprise éditoriale qui l'a soutenue en VO et en VF, mais je n'ai pas vraiment accroché et même je déconseillerais cette œuvre trop exigeante pour être à la portée du plus grand nombre.
Bref, si vous n'êtes pas un hardcore reader peut-être devriez-vous vous abstenir en dépit de la qualité de la chose.
L'Antiquité est un fantastique terrain de jeu pour la Fantasy et ce Soldat des Brumes m'a donné envie de relire :
-
Le Lion de Macédoine et
Troie (David Gemmell)
-
L'Aube de Fer (Matthew Woodring Stover, qui a aussi réalisé un Matrix Fantasy de haute volée)
-
la Trilogie du Minotaure (Thomas Burnett Swann)
- tout Javier Negrete (
Chroniques de Tramorée, Les Seigneurs de l'Olympe, Alexandre et les Aigles de Rome, Salamine...)
- les nombreux péplums de Valerio Manfredi
… Mais pas vraiment de m'engager plus avant dans la quête de Latro qui m'a profondément ennuyé (et déçu tellement cela avait été bien vendu là où vous savez sans trop d'avertissement sur la difficulté d'accès et l'aridité du truc).