« Force du feu, Puissance de l'onde, Libère les gueux, Ouvre le monde. »
Don donquichottesque, picaresque, romanesque... bref truculent !
Et en plus c'est de la fantasy à canaille française : cool !!!
Sous son dilettantisme et la haute opinion qu'il a de lui-même et de ses talents, Djeeb pourrait être le petit frère prodigue de Don Benevuto ou le cousin caché de Locke Lamora.
Concernant le Chanceur (avec une superbe entrée d'Ambéliane illustrée par Marc Simonetti)
O Fortuna,
velut luna
statu variabilis,
semper crescis
aut descrescis;
vita detestabilis
nunc obdurat
et tunc curat
ludo mentis aciem,
egestatem,
potestatem
dissolvit ut glaciem.
Sors immanis
et inanis,
rota tu volubilis,
status malus,
vana salus
semper dissolubilis,
obumbrata
et velata
michi quoque niteris,
nunc per ludum
dorsum nudum
fero tui sceleris.
Sors salutis
et virtutis
michi nunc contraria,
est affectus
et defectus
semper in angaria;
hac in hora
sine mora
corde pulsum tangite,
quod per sortem
stermit fortem
mecum omnes plangite!
Désolé pour la parenthèse culturelle, mais je trouve que la Roue de la Fortune résume assez bien cette 1ère aventure de Djeeb Scoriolis : on s'élève, on chute avant de s'élever à nouveau (ou pas...) !
Ce Djeeb esthète du beau geste est très attachant, mais quel drôle de type !
fin psychologue ou subtil magicien ? homme d'honneur ou vil aigrefin ?
marionnette ou marionnettiste ? Don Quichotte ou Don Juan ?
manipulé ou manipulateur ? chanceur ou malchanceux ?
saltimbanque ou bretteur ? gentilhomme ou libertin ?
humaniste ou égoïste ? artiste ou mercenaire ?
héros ou crapule ?
Il bien difficile de trancher tant la connivence est forte entre l'auteur et sa création.
Dès le départ on nous sort du "cuistre" et du "faquin" : je sentais que cela partait fort bien, et le tout reste ne m'a pas déçu !
La narration présente une fort belle personnalité quelque part entre récit à la 1ère personne et voix-off chroniqueuse des triomphes et des déboires de son (anti-)héros Djeeb Scoriolis. Quand à la prose finement distillée par l'auteur, c'est juste du petit lait !!!
Le seul défaut qui m'a gêné, c'est une petite baisse de rythme après la réception chez les Cantoris...
... et sous la légèreté de la plume de l'auteur et de son personnages principal, que retrouve-on dans la cité portuaire d'Ambéliane : des autorités corrompues, des entrepreneurs qui niveau franche coquinerie ne valent pas mieux que de vulgaires criminels, des élites politiques obnubilées par leurs mesquines luttes d’influences, des élites sociales narcissiques accro au pouvoir et à l'argent...
qui tous prospèrent sur un système judiciaire et carcéral très efficace qui les fournit en main d’œuvre corvéable et aisément renouvelable.
et ce qui est marrant c'est que
Djeeb a été condamné pour planifier la destruction d'Ambeliane à la tête d'une armée extérieure finit par effectivement détruire Ambéliane, mais de l'intérieur suite à la condamnation dont il été l'objet...
Concernant le Courseur (avec une superbe couverture d'Aurélien Police)
Contre toutes mes attentes j'ai beaucoup moins aimé, pourtant cela commençait fort joliment dès la 1ère page avec La Lune avait fui derrière les sommets d'Embrune, laissant la place nette aux premières lueurs de l'aube qui rosissaient l'orient brumeux...
Ensuite le 1er quart est juste énorme : un vrai nectar littéraire !
Ex : qu'est que tu saurais faire à part touiller la ragougnasse et cornaquer la donzelle ?
Ensuite l'interlude arboricole m'a laissé de marbre, et
L'inclusion d’éléments de science-fantasy vancienne voire andersonienne, genre la Patrouille du Temps,
m'a plutôt déplu dans le sens où j'ai eu l'impression que cela brouillait une fort jolie formule en retranchant au lieu d'ajouter...
Dans le dernier quart on découvre un peu plus l'univers de l'Arc Côtier avec la Questure.
Je retrouvais mon Djeeb qui retombait sur ses pieds, mais le charme avait été rompu...
J'aimerais bien comparer Laurent Gideon et Charlotte Bousquet, 2 alchimistes du verbe qui ont su distiller une prose capiteuse et enivrante : l'Arc Côtier est lumineux avec son esprit cyranesque, l'Archipel des Numinées est sombre avec son esprit baudelairien.
Leurs romans sont courts, mais est-ce que leurs proses riches et leurs personnages intenses supporteraient plus de pages ?
Ce qui est triste, c'est que ce diptyque n'a pas trouvé son public parce que peu soutenu par les critiques "avertis" qui ne le trouvait pas assez littéraire à leur goût (je parle bien sûr des sites et blogs fantasy et du microcosme SFFF français).
L'auteur ne fait pas mystère que certains lui ont aussi bien savonné la planche :
"on m'a bien fait comprendre que je n'avais pas ma place dans la fantasy française"
(c'est rageant de voir ceux qui ont quasiment snobé Laurent Gidéon rouler à fond pour Patrick Rothfuss, parce que franchement les aventures artistiques de Djeeb sont plus palpitantes que celles de Kvothe en 3 à 4 fois moins de pages)