La novella cela a toujours été un format bâtard : sans surprise on se retrouve avec une nouvelle trop longue et un roman trop court, mais pire encore une histoire divisée en 2 parties tellement différentes dans la forme que j’ai eu l’impression que 2 auteurs différents étaient derrière elles…
Je soupçonne carrément Martin d’avoir recyclé un script refusé pour la télévision tellement on sent le storyboarding dans le découpage des paragraphes est les coupures pub dans les twists et les cliffhangers.
Et dans le même genre et le même exercice de style un
Neil Gaiman fait bien mieux, ne serait qu’avec son
Neverwhere écrit quelques années plus tard.
Peut-être que les fantaisix vont s’extasier sur l’originalité du mélange des genres, mais les vrais amateurs du genre savent qu’on fait cela depuis des lustres (cf. Edgar Poe 1809-1849 !).
Reste l’habillage hard boiled vraiment très plaisant, mais qui fait village de Potemkine.
La 1ère partie est dense, confuse avec des phrases très courtes typiquement hard boiled donc.
On se retrouve dans une ville décrépie du Rush Belt anéantie par la dérégulation reaganiennes (avec des piques très drôle sur la très inefficace libéralisation des télécoms et la paire de ciseaux qui met fin à l’addiction aux cartes de crédit mise en place par des banques-dealers maffieuses).
On suit en parallèle les investigations de l’agent de recouvrement Willie Flambeau, qui a toute les clés de l’intrigue, et de la détective privée Randi Wade, qui doit découvrir lesdites clés.
Evidemment on retrouve tous les archétypes du roman noir : le magnat louche et sa parentèle qui ont fait main basse sur la ville, les politiciens complices, les flics complices, les journalistes complices, les nombreuses victimes du système…
Evidemment les affreux crimes du présent renvoient aux affreux crimes du passé…
On se prend rapidement au jeu une fois qu’on a identifié les personnages et les ressorts de l’intrigue, ce qui n’était initialement pas si facile que cela au départ tellement on enchaine les scènes sans rien expliquer du tout.
Force est de reconnaître que G. R. R. Martin n’a jamais été un grand styliste : ce n’est pas moi qui le dit, c’est les critiques et les lecteurs anglo-saxons. Mais il est ultra efficace pour camper un personnage, un cadre ou une ambiance en quelques pages : là réside sa très grande force d’où son intérêt pour les nouvelles et l’intérêt de ses nouvelles !
Il suffit de comparer la prose de ce Skin Trade à la traduction du TdF par Jean Sola pour s’en apercevoir…
Avec la 2e partie les phrases et les paragraphes s’allongent et la prose se pose alors même que l’histoire s’accélère et que l’action se densifie : on entre dans le page turner et c’est tant mieux.
Les personnages remettent en place les pièces de l’intrigue, mais on ne peut pas le faire en même temps qu’eux tellement ladite intrigue était initialement mal fagotée, à l’image du concept de Chasseur qui offre un dénouement plutôt frustrant (bonjour les incohérences scénaristiques si on se donne la peine de prendre un peu de recul pour réfléchir aux fausses pistes).
Et pour l’anecdote, je me demande si G. R. R. Martin n’a pas inventé le « paranormal porno » ?
Franchement ce petit gros entre 2 âges quadra qui transforme une adolescente vierge paraplégique en lycanthrope pour niquer comme des bêtes sous forme de bêtes… sans commentaire !
Une novella très agréable et très vite lue, idéale pour se remettre le pied à l’étrier littéraire, mais aucunement mémorable car finalement assez inaboutie (sans même parler de la concurrence).
Cela aurait pu (du ?) être un bon roman et cela aurait donné un bon épisode d’
Au-Delà du Réel, de
Supernatural ou de
Grimm sinon un très bon film mais le
World Fantasy Award a été généreux cette année là pour le récompenser d’un titre prestigieux.
Mettons les choses au points (car « titre essentiel » « œuvre majeure » c’est assez fumé quand même !)
- pour un connaisseur de polar, peu d’originalité : c’est sympa sans plus
- pour un connaisseur de fantastique, peu d’originalité : c’est sympa sans plus
- le mélange des genres est efficace, mais pour les connaisseurs de l’œuvre de
Neil Gaiman vont trouver cela très léger sur le fond comme sur la forme.
(le très sympathique Willie Flambeau le lycanthrope asthmatique va vite quitter mon imaginaire, alors que j’ai toujours en tête Gros Charlie coincé entre un patron voyou et la vengeance du Dieu-Tigre)
- et ceux qui le qualifient de précurseur de la fantasy urbaine connaissent bien mal l’histoire du genre… Mais comme pour eux les genres n’existent pas, cette inculture est assez logique.