Agnès la noire / R.E. Howard

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Albéric
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Agnès la noire / R.E. Howard

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4e de couverture :
— Une femme ! répéta le bandit d’un air songeur. Et habillée en homme ! Tu m’as l’air d’une sacrée drôlesse, grande et souple ! Allez, ôte ta cape !
— Il suffit, chien ! le tançai-je sans vergogne. Ne va pas croire que je suis une donzelle gémissante dont tu pourras faire ta proie.
— Qui es-tu alors ? demanda-t-il.
— Agnès de la Fère, répondis-je. Si tu n’étais pas un étranger dans les parages, tu le saurais.
— Je suis fraîchement débarqué ici. Viens par ici, Agnès, et donne-moi un baiser.
— Crétin ! lâchai-je, ma fureur toujours prompte à s’embraser rapidement. Faut-il donc que je tue la moitié des hommes de France pour leur apprendre le respect ? Regarde un peu ! Je porte ces vêtements parce qu’ils sont ceux de ma profession, pas pour attirer les regards. Je bois, je me bats et je vis comme un homme...
Pour ce onzième volume de la collection Howard, place à l’aventure historique, avec notamment le cycle d’Agnès la Noire, ahurissant héros féminin dû à l’imagination fertile du Texan, mais aussi les textes mettant en scène Cormac Mac Art et ses pirates vikings, Kirby O’Donnell, courant l’aventure en Afghanistan, ou Terence Vulmea, pirate irlandais des Caraïbes. Abordages, embuscades, temples maudits et complots, le créateur de Conan le Cimmérien s’en donne à cœur joie.

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Agnès la Noire ; Des Lames pour la France ; La Maîtresse de la Mort
R.E. Howard nous montre avec Agnès de Chastillon qu'il n'est que pas le créateur de héros celtes/irlandais grands et forts, courageux et volontiers généreux dans l'effort, mais ombrageux voire tourmentés. Avec la 1ère nouvelle qui son nom au recueil, Howard détourne volontiers l’héritage d’Alexandre Dumas pour nous raconter les (més)aventures hautes en couleurs d'une héroïne qui tient peut-être autant de D'Artagnan que de Milady de Winter. Mademoiselle de la Fère après son premier homicide se mue en aventurière et non en meurtrière : le fils d’un pauvre militaire gascon qui part à l’aventure devient ainsi la fille d’un pauvre militaire normand qui part à l’aventure, mais là où D’Artagnan est courageux et vaillant, Agnès est sombre et violente… Pour ne rien gâcher tout est raconté à la 1ère ère personne : l’héroïne fait preuve d'autant plus de panache qu'elle raconte elle-même les dangers auxquelles elle fait face !
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Je sais bien que les Années Folles, les garçonnes et les suffragettes sont passées par là, mais le manifeste de l'héroïne est celui des féministes des années 1970. De quand date le personnage ? De 1935… Et après il y a encore des grands connaisseurs qui osent qualifier le créateur de Conan d’auteur bourrin/macho qui écrit pour des lecteurs bourrins/machos… sans commentaire...
Avec la 2e nouvelle les intrigues de cour du XVIIe sont transposées au XVIe siècle : Louis XIII dévient François Ier, Marie de Médicis devient Louise de Savoie, Rochefort devient De Valence, Richelieu devient D’Alençon, Buckingham devient Wolsey… On peut aller assez loin ainsi dans la comparaison.
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On retrouve toutes les péripéties du roman feuilleton et du pulp qui vont être réutilisées dans les films de cape et d'épée hollywoodiens. Les trucs et astuces sont simples voire faciles mais c'est très rythmé donc cela fait du bien à une époque qui privilégie les gros pavés... Et tout est bien qui finit bien, puisque notre héroïne va sauver la vie de Charles de Bourbon, le grand-père d’Henri IV… bref le lien est fait avec la saga de Dumas et la boucle est bouclée !
Avec la 3e nouvelle, malheureusement inachevée (bisque, bisque rage !), Agnès fait équipe avec l'écossais John Stuart pour déjouer le complot d'un nécromancien italien. Vive la Sword & Sorcery qui marche ici sur les plates-bandes de la Jirel de Joiry de Catherine Lucille Moore. Il n'a pas fallu attendre la nouvelle vague féminine et féministe des années 1970 pour avoir des femmes qui n'avaient rien à envier aux hommes !!!

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Les Epées de la mer Nordique ; Wulfhere, le Fracasseur de Crânes ; Les Tigres de la mer ; Le Temple de l’abomination
La ressemblance entre le binôme Cormac Mac Art / Wulfhere qui officient durant les invasions germaines et Turlogh O'Brien / Athelstane qui officient durant les invasions vikings saute aux yeux. Ils sont sans équivoque les alter ego des uns et des autres. Cette époque des Âges Sombres (Dark Ages en VO) entre antiqué agonisante et féodalité naissante est méconnue mais passionnante car riche de possibilités. Le nouvel avatar du celte sombre est ici très plaisant, tant quand il évoque avec passion sa participation à la Bataille des champs Catalauniques contre les Huns que quand il évoque avec moqueries ses rencontres avec les héros des légendes arthuriennes (Arthur ? Un tyran analphabète ! Gauvain ? Une andouille brutasse ! Lancelot ? Un tueur intelligent mais fourbe...).
Dans la 1ère nouvelle, impossible de ne pas avoir en tête les images du film Les Vikings de Richard Fleisher.
Rognor le Rouge se pique de prendre pour épouse la jeune et belle Tarala, mais celle-ci n'a d'yeux que pour le jeune et Hakon. C'est le moment rêvé pour Cormac Mac Art et Wulfere de trouver des alliés et ainsi se sortir du guêpier dans lequel ils se sont fourrés en faisant naufrage sur le territoire de leur ennemi juré...
Le 2e titre n'est qu'un fragment qui nous rappelle que l'auteur savait aussi se faire poète, mais un noir poète...
Dans la 3e nouvelle, le héros celte et ses compagnons nordiques sont engagés pour délivrer une princesse bretonne enlevé par des bandits pictes. A l'image des meilleurs nouvelles de l'auteur, le récit est raconté par une tierce personne, ici le soldat brito-romain Marcus, qui va passer du monde civilisé au monde sauvage qui est le quotidien du héros howardien. Tous les ingrédients sont là pour un survival de qualité dont l'auteur texan avait le secret, malheureusement la nouvelle est restée inachevée. Je ne vous raconte pas comme c'est frustrant...
Dans la 4e nouvelle le héros celte et ses compagnons nordiques affrontent dans un temple païen abandonné du Pays de Galles les serviteurs et les créatures de Shub Niggurath... Malgré une bonne scène de baston horrifique, la nouvelle serait anecdotique s'il ne s'agissait de la première fois que l'auteur associe des éléments fantastiques à un récit historique. De ce moule va être modelé l'univers de Conan le barbare, et la fantasy va être changée à jamais... Mais ceci est une autre histoire !


La Paon d’airain :
Un ancien militaire doit, au nom d'une dette d'honneur, protéger un aventurier poursuivi par la vendetta d'une secte satanique dont il a volé l'idole. Une nouvelle agréable qui sent bons les films fantastiques des années 1970, alors qu'elle date du début des années 1930...
La Morsure de l’ours noir :
OSS 117 contre Fu Manchu. ^^
Péril jaune, empire jaune, sales jaunes… qques remarques qui relèvent d’un raciste complètement dépassé !
Comme tout est stéréotypé et que le twist est éventé dès la 1ère page, c'est une nouvelle à vite oublier...
L’Île aux pirates :
On retrouve le cocktail classique : une course au trésor avec une jungle poisseuse et un temple abandonné... Sauf qu'ici cela sent l’œuvre de jeunesse : entre l’héroïne qui passe de guerrière impitoyable à midinette éplorée en 1 ligne et le naufragé qui passe du soupirant énamouré au puritain donneur de leçons en 1 phrase, c'est très teenage...
Bref, une nouvelle pas terrible terrible.

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Les Épées de la Fraternité Rouge ; La Vengeance de Vulméa
La 1ère ère nouvelle débute par une scène de survival d'une modernité incroyable : le cinéma ne pourrait pas mieux faire. Elle nous est racontée à travers les yeux du fort Vulméa et de la fragile Françoise : Henri de Chastillon exilé au bout du monde est pris en tenaille par le pirate anglais Harston et le pirate français Villiers. C'est à ce moment que choisit Vulméa le celte sombre pour débouler comme un chien dans un jeu de quilles. Les compères font cause commune pour retrouve le fabuleux trésor de Giovanni da Verrazzano,le célèbre corsaire et explorateur au service du roi François Ier, en attendant la meilleure occasion de rafler la mise au détriment des autres. Mais Vulméa n'est pas né de la dernière pluie et qu'un mystérieux homme noir compte bien assouvir sa vengeance contre Henri de Chastillon en particulier et contre les Blancs en général en utilisant la soif des des tribus indigènes...
Quand j'avais lu l'aventure de Conan intitulée Le Maraudeur noir, je m'étais dit que sentait trop la flibusterie pour que cela fonctionne bien dans un univers fantasy. Ce n'est pas surprenant puisque l'histoire était initialement destinée à Vulméa le pirate irlandais avant d'être remaniée en récit fantasy pour Conan le barbare cimmérien. Elle sonne beaucoup plus juste dans sa version historique, mais je préfère quand même la version fantasy qui assumait et utilisait mieux le côté surnaturel de l'homme noir. Une nouvelle intéressante, sans doute une des meilleures voire la meilleure du recueil. Elle pourrait constituer le scénario d'un film d'aventure du tonnerre !
Dans la 2e nouvelle, Howard le texan nous refait la lutte séculaire voire millénaire entre Anglais et Irlandais aux confins du Nouveau Monde. Vulméa le pirate irlandais is veut faire la peau à l'officier anglais John Wentyard dans la jungle d'Amérique centrale : on inverse les rôles et l'ancien bourreau devient une proie et l'ancienne victime devient un prédateur. Mais ils sont tous les deux cernés dans un temple abandonné par une tribu amérindienne et une bande de marrons revanchards. Ça et la bonne vieille créature reptilienne qui hante les ruines perdues... Sauf qu'honneur oblige Vulméa veut laisser sa chance à l'objet de sa haine avant de réaliser que celui dont il veut se venger n'est un homme comme les autres, qui a commit des erreurs comme les autres... Donc le vengeur solitaire et sa victime désignée font cause commune contre les dangers qui les guettent !
Une nouvelle intéressante, assez moderne sur le fond comme sur la forme, mais qui ne peut prendre son envol en raison de cadre pulpien et du cahier des charges du genre. S'il l'auteur texan avait vécu plus longtemps, il aurait revu sa copie et aurait amené le récit d'aventures au firmament...


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L’Or de Tartarie ; Les Épées de Shahrazar ; Le Dieu taché de sang
Tous les ingrédients sont là : intrigues, cavales, traques, duels, fusillades, cités oubliées, trésor fabuleux... Mais ne nous voilons pas la face, nous sommes dans le brouillon d'El Borak car Kirby O'Donnell n'a pas le sombre charisme d'un Francis Gordon Xavier. Toutefois la 3e nouvelle possède un petit goût d'Indiana Jones pas déplaisant du tout...


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Au Service du roi :
Par un concours de circonstances un prince celte et ses compagnons saxons se retrouvent au service de Nagdragore, une richissime cité portuaire indienne gouvernée par un concours de circonstances par un aventurier grec au pouvoir bien singulier (qui pourrait être l'ancêtre du Littlefinger de GOT soit dit en passant).
Cela pourrait être avant l'heure Les Drakkars de Jack Cardiff (mais c'est un secret de Polichinelle que c'étaient Richard Widmark et Sidney Poitiers qui étaient aux manettes du film), mais c'est surtout de la Fantasy avant la création de la Fantasy. Malheureusement cette nouvelle qui sent bon le récit of High Adventures est restée inachevée. Je ne vous raconte pas comme c'est frustrant... car il existe quantité de romans récents qui font moins fantasy et moins moderne que cette nouvelle historique.


A plusieurs reprises, Howard est en roue libre donc les facilités et les répétitions sont multiples : oui, le héros pareil à une panthère affronte toujours des ennemis pareils aux loups... On est parfois à la limite de la mnémotechnique des conteurs antiques (remember Achille pareil aux dieux). En dehors des nombreuses nouvelles inachevées ou brouillonnes, on sent que plusieurs figures sont les premiers jets des créations howardiennes postérieures.
Mais le livre objet est réussi : 520 pages bien éditées, accompagnée d'une postface passionnante, comme toujours de la part du plus howardien tu meurs Patrice Louinet, et des superbes illustrations intérieures de Stéphane Collignon. Tellement belles d'ailleurs que je me demande ce qu'attendent les éditeurs de BD français pour confier l’adaptation des aventures howardiennes à ce dernier. Je ne dis rien, mais je n'en pense pas moins !
Malgré tout il s'agit d'un recueil sous doute à réserver aux nostalgiques de La Dernière séance, aux aficionados de l'auteur texan ou aux archéologues de la Fantasy. Pour découvrir les univers historiques de l'auteur, je recommande Le Seigneur de Samarcande, un excellent recueil de nouvelles consacrées aux croisades, et pour découvrir les univers fantasy de l'auteur il ne vous reste qu'à (re)découvrir les aventures de Conan le barbare, les seules, les vraies ! (pas les ersatz et les succédanés remaniés et remixés par des générations de tâcherons qui nous ont abreuvé de conaneries durant des décennies...)
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