Nemrod / Olivier Bérenval

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Albéric
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Nemrod / Olivier Bérenval

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Résumé Nemrod :
L’humanité s’est depuis longtemps dispersée dans les étoiles et un gigantesque empire galactique rassemble le peuple des hommes.
Mais un jour, un monde reculé est anéanti par une puissance inconnue, un mystérieux Adversaire qui pourrait bien précipiter l’humanité vers son crépuscule.
À l’aube de ce cataclysme, Tjasse est sur le point de tout perdre, Czar Santo, truculent détective de la cité orbitale est contacté par un puissant client et Giana Miracle, soldate des Forces de la Communauté, est chargée de mater une révolte populaire.
À priori, rien ne les rassemble. Pourtant, leurs destins vont inexorablement s’entremêler à celui de l’humanité tout entière, cette humanité née sur la Terre originelle, dont les chants et les poèmes résonnent encore et forgent la légende des siècles.

Commençons par le commencement : merci à l'opération Masse Critique spécial « Mauvais Genres », merci aux Editions Mnémos... Mais j'avoue être enquiquiné pour parler du Nemrod d'Olivier Bérenval, qui m'a autant époustouflé que frustré ! Donc c'est parti pour un avis thèse / antithèse / synthèse certes, mais je vais bien vendre le roman en déclarant qu'on mélange très joliment deux monuments de la Science-Fiction : Les Cantos d’Hypérion de Dan Simmons et Rencontres du troisième type de Steven Spielberg !
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Thèse :
L'auteur appartient clairement à l'école des auteurs de Science-Fiction qui privilégie l'approche historique à l'approche géographique... De fil en aiguille on nous raconte une planète terre à l'agonie, des vaisseaux d'ensemencement lancés à travers le cosmos, avec des embryons génétiquement modifiés pour s'adapter à chaque exoplanète rencontrée (l'Expansion)... Puis des bonds technologiques (propulseurs tachyoniques, trous de ver de Langevin, terraformation, génomorphing) qui permettent d'unifier une humanité éparpillée à travers les immensités intersidérales (la Convergence). Nous découvrons donc une civilisation galactique gouvernée depuis la mystérieuse Antiterra, avec d'un côté les êtres humains de la Communauté, et d'un autre côté les Intelligences Artificielles de l'Axiomatique... Enfin tout cela c'est ce que les IA disent, et au vu des pertes de mémoires des post-humains équipés d'un néocortex reliés par wi-fi à la noosphère il ne faudrait pas que les lecteurs prennent tout pour argent comptant ! ^^
Une bonne partie du roman repose se le fait que l'humanité ne sait de son passé que les bribes qu'elle a retrouvées dans les ruines d'une cité naguère appelée Paris sur une terre naguère appelée France... Donc l'homme du futur parle la Lingua Franca (le Français quoi ^^), a pour capitale un binôme constitué de Vieille Cité et de Cité Neuve, a pour centre culturel le Nouvel Opéra Garnier,  est gouverné par les Tribuns, le Directoire et le Conseil des Cinq-Cents, qui s'appuient sur les Incroyables et les Merveilleuses pour diriger une humanité hiérarchisée de façon plus ou moins ségrégationniste en Variants allant du Stade 1 (humains d'origine, ou peu s'en faut) au Stade 10 (aberration mutante qu'on ne peut plus qualifier d'humain tant sur le plan physique que sur le plan psychologique), sans parler des Doulos et des GenMods (esclaves et outils génétiquement modifiés, qui n'ont même pas accès à la Citoyenneté)....
Nous avons donc un côté lutte des classes plus ou moins larvé avec une France de la Révolution (avec des concepts qui empruntent à l'aventure communiste) et une France de la Restauration (avec des concepts qui empruntent à la noblesse et au clergé d'Ancien Régime, l'un promettant la prospérité matérielle à ses happy few, l'autre promettant l'immortalité numérique à ses ses élus, les deux comptant sur leurs reîtres et leurs lansquenets pour faire régner l'ordre !), ça et les détectives privés appelés vidocqs où les nombreuses références aux œuvres d'un Illustre Poète derrière lequel on reconnaît rapidement Victor Hugo.
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Les efforts de l'auteur pour franciser un genre généralement reconnu comme étant anglo-saxon sont épatants, mais on a aussi des références à l'Antiquité romaine avec le limes qui sépare la civilisation de la barbarie, et des références à l'Antiquité grecque puisque que mal de peuples empruntent leurs noms aux différences communautés de l'Empire d'Alexandre le Grand... Du coup on peut se demander consciemment ou inconsciemment il ne s'est pas dirigé vers un Warhammer 40000 à la française ? ^^
Au final l'auteur nous offre donc un New Space Opera total qui emprunte selon lui à Philip Jose Farmer, Robert Heinlein, H.P. Lovecraft, Jack Vance, Robert Silverberg, Roger Zelazny et tous les autres (dont entre autres auteurs Olaf Stapledon, Leigh Brackett, Frank Herbert, James Blish, Dan Simmons et Peter Hamilton...) Mais si on se place d'un point de vue français, il aurait fallu rendre hommage aux figures titulaires de Pierre Bordage et Laurent Genefort ^^

Antithèse :
Là où le bât blesse c'est au niveau de la scénarisation et de la narration : quelque part j'ai eu la désagréable impression de lire une histoire simple racontée de manière compliquée...
On a une structure en POVs plutôt équilibrée où on suit le crypto télépathe Tjasse, l'enquêteur Czar Santo qui en pince pour la vamp Lynette Chérubin, et la bidasse Giana Miracle transie d'amour pour sa supérieure hiérarchique Kausar Alléva, mais on suit en spectateurs des personnages spectateurs autant de l'intrigue que de leurs propres vie. Et on sent que les véritables acteurs du récit, qu'on suit plus ou moins en interlude (avec quelques POVs secondaires peut-être superfétatoires), les amènent là ou l'auteur le veut pour qu'on puisse explorer les quatre coins de son univers... Sauf qu'au bout du bout les raisons du pourquoi du comment sont assez nébuleuses, du coup je peux oser dire que la fin se termine un peu en eau de boudin !
Je pourrais dire que cela commence très bien avec le POV de Tjasse qui ressemble à un détournement de Luke Skywalker perdu sur Tattoine (sauf qu'entre théocratie, plans quinquennaux, tempofamille et païdos on est assez proche de Le Meilleur des mondes d'Aldous Huxley ^^), celui de Czar Santo qui ressemble à un détournement Rick Deckard dans Blade Runner (donc nous sommes dans le cyberpunk néonoir ^^), et celui de Giana Miracle qui aurait eu parfaitement sa place parmi les marines coloniaux d'Aliens (donc nous sommes dans la chouette tradition de la SF militaire anglo-saxonne)...
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Sauf que l'auteur m'a donné l'impression d'en faire trop en balançant en trois chapitres des dizaines de concept Hard Science, New Wave ou Cyberpunk sans laisser le temps au lecteur de les assimiler ! Après on balade Tjasse de planète en planète et d'expérience IA en expérience IA (avec des reprises de Cube et de La Stratégie Ender), on balade Czar Santo qui sans se poser de question suit un parrain de la mafia puis son héritière présumée avant de lui aussi est soumis à d'incompréhensibles expériences IA (et en passant remember Gendo et Rei dans Neon Genesis Evangelion ^^),
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et pendant l'effondrement de la Communauté on balade dans la galaxie Giana Miracle de conflit en conflit (et on sent le triste héritage du colonialisme avec un remake du conflit entre Hutu et Tutsi dans l'Espâce)... Car au final l'humanité est donc confrontée à l'Adversaire, une entité cosmique lovecraftienne qui officie à un autre niveau de la réalité et qui éprouve les pires difficultés à communiquer avec les insectes humains qui interfèrent avec sa destinée... (l'auteur spoilant trop tôt les principaux éléments de son histoire : tant mieux ou tant pis ???) On a du mal à comprendre en quoi ils ont été choisis comme intermédiaires/interprètes par l'Adversaire qui recourt à des symboles aussi chargés que compliqués tirés de du recueil de poème La Légende des siècles, mais après tout il est impossible tout comprendre avec une entité aussi éloignée de l'humanité... (remember les romans expérimentaux de Roger Zelazny ^^)

Synthèse :
Pour moi derrière un univers très riche et très profond digne des Cantos d'Hypérion, ce roman raconte une histoire que j'ai déjà lue peu ou prou dans la nouvelle Stark et les Rois des étoiles d'Edmond Hamilton et Leigh Brackett...
L'ensemble est servi par un prose de qualité et par un style travaillé, qui nous gratifient de magnifiques descriptions qui nous immergent totalement dans un univers incroyable qu'il a construit méticuleusement avant de le détruire consciencieusement (remember Dune ! ^^). Le roman ne pourra pas laisser indifférent, et le talent de l'auteur force le respect tant sur le fond que sur la forme, d'autant plus que nous avons affaire à un érudit de la Science-Fiction et un véritable amoureux de la Science-Fiction ! Avec deux romans seulement, Olivier Bérenval s'impose comme un grand de la SF française, et il ne lui manque qu'à mieux doser ses ingrédients pour trouver sa formule magique qui le propulsera au firmament !!!
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