Un Éclat de Givre / Estelle Faye

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Albéric
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Un Éclat de Givre / Estelle Faye

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Résumé :
Un siècle après l’Apocalypse. La Terre est un désert stérile, où seules quelques capitales ont survécu. Dont Paris.
Paris devenue ville-monstre, surpeuplée, foisonnante, étouffante, étrange et fantasmagorique. Ville-labyrinthe où de nouvelles Cours des Miracles côtoient les immeubles de l’Ancien Monde. Ville-sortilège où des hybrides sirènes nagent dans la piscine Molitor, où les jardins dénaturés dévorent parfois le promeneur imprudent et où, par les étés de canicule, résonne le chant des grillons morts. Là vit Chet, vingt-trois ans. Chet chante du jazz dans les caves, enquille les histoires d’amour foireuses, et les jobs plus ou moins légaux, pour boucler des fins de mois difficiles.
Aussi, quand un beau gosse aux yeux fauves lui propose une mission bien payée, il accepte sans trop de difficultés. Sans se douter que cette quête va l’entraîner plus loin qu’il n’est jamais allé, et lier son sort à celui de la ville, bien plus qu’il ne l’aurait cru.

Une histoire dense et intense qui fleure bon la SF des années 70 comme le cinéma des années 80.
(Le chef militaire des pavillonnaires Laurent Lefort est-il un clin d’œil au paladin de la SF française Laurent Genefort ?) La prose est capiteuse voire envoûtante, le style très rythmé et très visuel : un véritable nectar ! Il faut démanteler un trafic de stupéfiant organisé par un Roi-Mutant qui veut dominer Néo-Paris. C’est simple et efficace, mais le récit comporte comme les autres ouvrages d’Estelle Faye des lacunes de narration assez gênantes. Mais dans le cas contraire, cela aurait été carrément grandiose !


J’ai mis 50 pages avant de comprendre que le narrateur n’était pas une femme. Donc c’est bien joué !!!
Car en fait le narrateur du roman est un chanteur/chanteuse de cabaret nommé Chet, non pas en l’honneur du jazzman Chet Baker mais du Daniel Chetman du film Rue barbare, qui fait ici office de Billie Holliday au masculin. La narration à la première personne, le style nerveux où les phrases courtes s’entrechoquent d’autant plus que le rythme du récit est très soutenu nous plonge dans la psyché de Chet, ses affres, ses espoirs, ses fantasmes…
“All the girls are monsters and all the boys are whores”
L’ambiance est clairement gay-friendly. Chet est une véritable femme fatale qui s’ignore. J’ai pensé tout du long à une version masculine de la Rita Hayworth, la sex symbol du film culte des années 1940 Gilda.
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Les autres personnages ont bien du mal à exister à côté de lui ! Car c’est toute une galerie de personnages qui traversent parfois tels des fantômes la vie de Chet : Damien le pianiste, Virgile le poète fou, Léna la démoniaque sylphide dominatrice, Paul Langlois l’ex-psionique érudit, Janosh la Lavorda le prince des gitans… Même Galaad le preux éco-chevalier du 9-2 en treillis militaire ne parvient à faire oublier à Chet sa Reine des Neiges à lui : Tess la garçonne manquée idéaliste qui voulait gagner la Sibérie…
Néo-Paris est un personnage à part entière de roman, qui aurait pu (du ?) être davantage mis en avant, mais comme le roman est court, dense rythmé et entièrement raconté du point de vue de Chet qui ne cesse de courir avant de se laisser submerger, pas facile d’avoir une vue d’ensemble de Paname après l’Apocalypse : les Planteurs de Montmartre, les écologistes de la Bordure, les ferrailleurs et les forgerons de l’Île de la Cité, les marchands de grillons morts du marché chinois, les parias freaks du Quartier d’Enfer, l’immense tour de verre de la Défense…

Le récit ne se cache pas de suivre le cheminement de La Divine Comédie de Dante.
Après avoir échappé à l’Enfer et avoir traversé son Purgatoire, Chet va devoir affronter la tentation ultime du Paradis. Et quels sont ses guides à travers son périple à travers Néo-Paris ? Virgile, Sybil et Lucifer…
Tout se tient durant la virée en Enfer qui m’a semblé pioché dans le film de John Carpenter New York 1993 et plus encore dans son remake Los Angeles 2014 (remember la secte des chirurgiens esthétiques).
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Le 1er twist redistribue les cartes et amène les protagonistes du drame et les lecteurs à des enjeux plus élevés. Après le drame de Notre Dame, le récit traverse un trou d’air qui correspond à la fin du Purgatoire pour Chet. Ensuite c’est assez décousu, limite deus ex machina, entre les personnages qui sortent du récit, ceux qui entrent dans le récit et ceux qui reviennent dans le récit. Chet se contente de surnager, de se laisser porter par les événements. Attendant le moment où il retrouvera sa Reine Neiges… Mais on enchaîne néanmoins les belles scènes : le bain de sang du Mermaid, la traversée du mall désaffecté, les mondes-gigognes de la tour EVE.
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J’ai bien compris l’opposition entre Stonehenge et EVE, entre Sybil la jeune psionique surdouée et le Serpent du Jardin d’Eden (on sent bien la symbolique de l’affrontement entre paganisme et christianisme, qui sera au cœur de prochain opus de l’auteure), mais comme on ne connaît pas les rapports de forces entre factions au sein de l’agglomération parisienne les enjeux restent finalement assez flous.
ATTENTION SPOILERS
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OK il faut démanteler le contrôleur climatique qui pousse les Néo-Parisiens dans les bras de la Substance, dope qui transforme ceux qui en dépendent en marionnettes sans personnalité obéissant au doigt et à l’œil du Roi-Mutant.
Mais si Chet est la seule personne qui peut résister à la Substance et aux pouvoirs du Roi-Mutant (remember celui d’Isaac Asimov dans le cycle Fondation, c’est quasiment ça !), pourquoi risquer sa vie en l’envoyant exfiltrer un sous-fifre en Enfer ?
Je ne sais pas si Estelle Faye s’inspire davantage du film de René Lalloux ou du roman de Stefan Wul, mais le destin de Chet est quasiment une relecture de celui du Prince Matton qui doit se haïr pour vaincre la Pensée Pure qui veut unifier l’univers entier en supprimant les individualités…
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Car Chet est un être complexe qui verse consciemment ou inconsciemment dans l’autodestruction : il ne se mettra jamais en ménage avec Damien le pianiste, il ne réveillera jamais sa Belle au Bois dormant pour savoir si ça peut marcher ou pas entre eux deux, il n’avouera jamais ses sentiments à l’amour de sa vie… car Chet est persuadé ne pas être assez bon pour avoir droit au bonheur…


Niveau thématiques, Estelle Faye n’échappe pas à ses mentors : Mathieu Gaborit, Hayao Miyazaki, et Xavier Mauméjean.
- dans La Dernière lame (avec ses 3 personnages principaux amnésiques) et Porcelaine (avec ses personnages qui perdent leur identité avant de la retrouver), Estelle développait en fil rouge le thème de la mémoire et c’est encore le cas ici, mais on agit ici au niveau collectif : les Néo-Parisiens reconstruisent leur histoire, leur mémoire et leur identité à partir des brides de leur passé mélangeant souvenirs du monde de l’Avant et récit de l’Apocalypse. Leurs aïeux s’amusaient à se faire peur avec les récits catastrophes, ceux qui ont survécu à l’apocalypse et en ont subi les conséquences en font leur histoire nationale…
- il y a des thématiques écologistes, présentes depuis son premier roman : Tess qui veut regagner la Sibérie, les Frelots et les Pavillonnaires, les Planteurs de Montmartre, et même le Serpent du Jardin d’Eden et son Arche de Noé verticale…
- l’auteure pousse son tropisme mizayakien jusqu’à rendre hommage à l’animation russe si cher au cœur de l’animateur japonais : le roman file la métaphore du conte de La Reine des Neige, la cassure de Chet venant de l’éclat de givre laissé dans son cœur par le départ de Tess qu’il désire de toute son âme mais à laquelle il n’avouera jamais ses sentiments.
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La découverte par Chet et Galaad de l’oasis géothermique semble tout droit sortie du manga culte Nausicaä.
Difficile ne pas penser parfois à Conan Fils du Futur, Porco Rosso, Chihiro, Le Château ambulant
- comme Xavier Mauméjean, Estelle Faye a une immense sympathie pour les freaks : du jazzman travesti à l’hybride illusionniste, c’est toute une galerie de monstres que met en scène l’auteure française… Ah les sirènes du Mermaid entre gogo danseuses et mutantes anthropophages !


Pour terminer j’ajouterai que j’ai ressenti un petit côté Final Fantasy pas déplaisant du tout, voire même un gros côté manga avec les Psys de Stonehenge semblant tout droit sortir du manga culte Akira (à moins que ces mutants surpuissants qui perdent leurs pouvoirs à la puberté n’appartiennent aux territoires infinis de la Science-Fiction d’antan…).
Plus qu’un nouveau talent, livre après livre Estelle Faye est en train de devenir une grande dame de la SFFF française. Heureusement que les éditeurs ont cru en elle dès le départ !
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Cymoril
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Re: Un Éclat de givre / Estelle Faye

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Jolie critique, Albéric. Je regarderai s'ils ne l'ont pas à la bibliothèque.
Fabien Lyraud
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Re: Un Éclat de givre / Estelle Faye

Message non lu par Fabien Lyraud »

Tiens, je parlais de l'arcanepunk il n'y a pas longtemps. Chez les francophones il y a aussi quelques tentations. Ce n'est pas nouveau. Mais bon, ça revient. Bonne nouvelle.
Albéric
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Re: Un Éclat de Givre / Estelle Faye

Message non lu par Albéric »

Fabien Lyraud a écrit :Tiens, je parlais de l'arcanepunk il n'y a pas longtemps. Chez les francophones il y a aussi quelques tentations. Ce n'est pas nouveau. Mais bon, ça revient. Bonne nouvelle.
Oh là... Ce n'est pas de l'arcanepunk, mais on retrouve le mélange entre haute technologie et (très) basse technologie propres aux univers post-apo japonais souvent assez "fantaisistes".
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